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Isigny, & en bien d’autres endroits de la Normandie. Ce sirop se garde, si l’on veut, pendant très-long-temps dans des pots : il y reste en consistance de miel ; & quand on veut en faire usage dans les rhumes, il faut le battre avec de l’eau chaude : il est très-bon pour la poitrine.

Si le cidre n’éclaircissoit pas dans les tonneaux ; ce qui arrive quelquefois, sur-tout à ceux qui ont des pommes dont le jus est gras & limoneux, il faudroit, pour une demi-queue de deux cents pintes, broyer un pain de blanc d’Espagne, autrement craie de Briançon, y joindre le poids de deux liards de soufre en poudre, jetter le tout dans la futaille par la bonde, remuer le cidre avec un bâton fendu en quatre ; il sera bientôt clair-fin. C’est la manière de le coller.

J’observerai à M. de Chambray, que je ne vois pas l’utilité du soufre. Est-ce parce que ses parties divisées sont spécifiquement plus pesantes que la colonne de cidre à laquelle elles répondent ? En ce cas, celles de la craie, toutes seules, précipiteront aussi-bien le mucilage, que le ferolent les parties du soufre, puisqu’à volume égal, elles sont spécifiquement plus pesantes que celles du soufre. Est-ce par quelques principes du soufre, analogues au mucilage du soufre ? C’est ce qu’il faudroit prouver : cette discussion nous mèneroit trop loin. Je vois dans la craie, au contraire, une substance calcaire, qui neutralise l’acide du cidre, & le rend plus doux, & en même temps fait la fonction de précipitant du mucilage.

Au mois de mars, on met en bouteilles le cidre qu’on destine pour la table des maîtres, en observant de ne le boucher à demeure qu’au bout de quelques jours ; autrement il casseroit bien des bouteilles. Ce cidre mousse, pique le palais, porte au nez, monte à la tête, plaît beaucoup ; mais ce ne seroit pas une boisson convenable pour l’ordinaire ; elle a trop de violence. Les normands boivent rarement du cidre sans eau : il faut donc voir l’usage journalier qu’on peut faire du cidre. Pour avoir une boisson agréable & saine, il faut mettre quelques seaux d’eau dans les auges du pressoir, en pilant les pommes. On règle cela, selon le degré de force qu’on veut donner au cidre. Lorsqu’il est ainsi tempéré, il est très-sain : on l’appelle la tisane des normands ; mais ce cidre, mêlé à l’eau, ne passe guère l’année, il s’aigrit à la fin ; au-lieu que du cidre de bon crû se conserve mieux, & est souvent très-potable au bout de six ou sept ans.

Je ne vois pas la nécessité de mettre le cidre en bouteilles en mars, & je vois un très-grand inconvénient à laisser les bouteilles débouchées pendant deux à trois jours. Au retour des premières chaleurs du printemps, toutes les liqueurs spiritueuses, tenues en masses, éprouvent un renouvellement de fermentation ; &, dans toute fermentation, l’air fixe, (Voyez ce mot) qui est le lien des corps, cherche à s’en séparer. On facilite cette séparation, en laissant la bouteille débouchée. Si le cidre pétille encore après que la bouteille a été bouchée, c’est une continuation de cette tendance à s’échapper, & de sa foible agrégation avec les principes aqueux, sucrés & aromatiques de la liqueur. Le bouchon empêche