Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/101

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bien résoudre la question, il convient de diviser les vignobles du royaume en deux classes, & établir la même distinction relativement à la qualité du vin. La première comprend les pays où les vignes sont si abondantes, que dans les années ordinaires on ne peut consommer ou exporter la récolte, à moins qu’on ne la convertisse en eau-de-vie. Tels sont l’Orléanois, le Blaisois, la Sologne, le Pays d’Aunis, la Saintonge, l’Angoumois, une partie de la Guienne, du Limosin, du Languedoc, de la Provence : &c. je place dans la seconde classe les vignes du Dauphiné, du Vivarais, du Lyonnois, du Beaujolois, du comté & du duché de Bourgogne, de la Champagne, du Pays Messin, &c. &c. où les vins, même dans les années abondantes ont une consommation décidée. Aussi, dans ces dernières on y brûle peu de vin, parce que, soit par sa qualité, soit par sa proximité de nos provinces qui en manquent, ou de l’étranger qui les demande, il est plus avantageux au cultivateur de le vendre en nature, que de le convertir en eau-de-vie. Dans le premier cas, au contraire, l’abondance extraordinaire du vin, & souvent son peu de qualité obligent de recourir à l’art, afin d’éviter une perte complète. Il est donc inutile dans ces deux positions de prescrire au propriétaire ou cultivateur le parti qu’il doit prendre : son intérêt l’instruira plus que la loi. Il résulte de ce qui vient d’être dit, qu’il est des années & des pays où le marc forme une masse très-considérable, dont le cultivateur tireroit le plus grand parti, si la prohibition n’y opposoit ses obstacles, & cette prohibition est précisément le plus en vigueur dans les pays où le marc est inutile aux vignerons, pour en faire ce qu’on appelle petit vin, buvande ou piquette, suivant les différentes provinces ; puisque le vin y est, pour ainsi dire, sans valeur. Dans ceux, au contraire, où le vin est toujours cher, il offre une ressource précieuse aux vignerons, pour faire leur petit vin, & quoique vivant environnés de vignes, c’est souvent la seule boisson qui leur reste. La loi, qui permettroit dans tout le royaume la fabrication des eaux-de-vie de marc, ne les engagera certainement pas à le brûler, s’ils trouvent plus d’avantage à s’en servir comme petit vin. Le vigneron, maître de son bien, préférera certainement le parti le plus lucratif pour lui ; ainsi, dans l’un & dans l’autre cas, la levée de la prohibition ne nuira point au vigneron ni au propriétaire, & tous deux jouiront de leur droit sacré de propriété. Tant que la prohibition subsistera, le cultivateur surchargé de marc, n’en retirera aucun avantage, & c’est une perte immense dans sa généralité, & très-forte pour chaque propriétaire. En veut-on une preuve sans réplique : la voici. L’hôtel-de-ville de Metz a obtenu le privilège exclusif de fabriquer les eaux-de-vie de marc, & il afferme ce privilège. Les fermiers parcourent les celliers à quatre lieues à la ronde, enlèvent les marcs sans les payer. Passe encore si ce malheureux vigneron pouvoit avoir son marc après la distillation, mais non, il faut qu’il le rachète des fermiers, s’il veut l’employer comme engrais dans sa vigne. Ce n’est pas tout, il lui est défendu de couper plus de cinq fois sa vendange