Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/171

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espèce de raisin du même crû, quoique fait sans la grappe, il ne graissera plus ; la grappe n’empêche donc pas le filage. Retenez l’air de combinaison dans le vin, voilà le grand secret. Les vins qui filent ont un goût doux, pâteux, sont dans ce moment très-indigestes ; c’est que l’air fixe ne les assaisonne pas. En général, tous les vins sujets à cette maladie sont peu spiritueux, sur-tout quand elle n’est pas produite par un défaut dans la première fermentation.

7. On doit laisser la grappe dans les années de pourriture, de moisissure, &c. C’est suppléer à un mal par un autre mal. L’acidité & la dureté n’ont jamais constitué le vin : c’est le cas d’aider la nature, de lui rendre ce que la pourriture à détruit, par l’addition d’un corps sucré quelconque, comme il sera dit au mot Vin, & si le besoin l’exige, d’y ajouter un peu d’air fixe, afin de donner une forte cohésion & une adhérence entre les principes. Le vin ne se conserve que par ses parties vineuses, & non par les parties étrangères ; il n’est jamais venu dans l’esprit des normands, des picards, des bretons, des habitans de la Biscaye espagnole, de soutenir leurs cidres par l’addition des feuilles, des bourgeons de pommiers ; cependant la parité seroit parfaite.

8. Il faut la laisser dans les vins qu’on veut transporter ; pas plus que dans les autres. Plus un vin sera doux, & mieux il passera les mers ; le trajet transformera cette douceur, en spiritueux. Une pinte ou deux de bonne eau-de-vie, réussira & produira plus que toutes les grappes de l’univers si le vin est foible & n’a pas assez d’ame. Le sucre ou le miel en petite quantité, donneront au vin, 1o. l’air fixe qu’ils contiennent ; 2o. la partie sucrée qui lui manque pour assurer le trajet.

Je suis bien éloigné d’approuver ces petites supercheries ; je ne les rapporte ici que pour faire connoître les principes auxquels le vin doit sa conservation. Tout homme qui les met en usage est un fripon ; il doit ne point expédier de vin, s’il n’est pas sûr plus que moralement de sa durée.

9. Dans les années abondantes, faites bien le vin ; soutirez-le à propos, ayez de bonnes caves, & vous n’aurez pas besoin de la grappe.

10. Aucun motif ne doit obliger l’amateur à laisser la grappe, quand même il décuverait avant le complément de la fermentation. Je conviens qu’elle produira, dans ce cas, des effets moins désagréables ; mais la grappe s’appropriera, autant qu’elle pourra, la partie sucrée dans laquelle elle nage, & le spiritueux, à mesure qu’il se forme. Pourquoi cette perte & cette soustraction ?

11. Il faut la laisser, parce que l’égrainage augmente les frais, puisque c’est une opération de plus. J’ai trouvé la pratique du bas-Languedoc plus expéditive & plus économique que tout ce que je connoissois en ce genre : on en trouvera la description dans le chapitre suivant. Je réponds, par ma propre expérience, que l’égrainage d’une cuve qui contient seize barriques de deux cent vingt à deux cent trente bouteilles chacune, ne me revient pas à plus de trente sols. Si on compare actuellement ce qu’il en auroit coûté pour transporter la