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Je qualifie de ce nom les espèces formées par la fécondation d’une fleur par les étamines d’une autre fleur d’une espèce jardinière différente, mais analogue ; par exemple, d’une fleur de pêcher & d’un abricotier : tel est à mon avis le principe de l’abricot-pêche, de l’abricot-alberge, &c. On peut encore appeler ces espèces adultérines ; mais il est inutile de multiplier les dénominations ; (Voyez Tome I, page 195, au mot Abricot, la manière de faire naître ces espèces hybrides.)

Il est constant qu’il s’en forme tous les jours, mais on y fait peu d’attention. Il faudroit suivre toutes les fleurs d’une branche, par exemple, jusqu’à leur métamorphose en fruit, & examiner si ces fruits n’ont aucune différence sensible, soit dans le goût, soit dans la forme avec ceux du reste de l’arbre. Si le semis conserve le même état sans dégénérer, alors ce sera une espèce jardinière & naturelle du premier ordre ; l’abricot-pêche en est un exemple : si au contraire, l’arbre ou la plante dégénère par le semis, ce sera une espèce hybride & jardinière du second ordre.

L’expérience de l’hybridicité a été tentée plusieurs fois ; elle a réussi à quelques amateurs, & manqué complètement entre les mains du très-grand nombre, d’où ceux-ci ont conclu son impossibilité, & ont tenté d’établir que dans les plantes l’hybridicité représentoit les monstres que l’on rencontre parmi les hommes ; monstres par excès ou par défauts. Certainement, lorsque j’étudie l’abricot-pêche, je ne vois aucun caractère de l’une ou de l’autre monstruosité ; au contraire, j’y remarque une perfection frappante ; il en est ainsi de toutes, les plantes que le chevalier von Linné a désignées sous la dénomination, d’hybrides ; elles conservent leur hybridicité par les semis dans la partie la plus essentielle de leur être, c’est-à-dire, la fleur & le fruit. Il n’y a donc point de monstruosité, ce sont de véritables espèces & bien déterminées du premier ordre des jardinières ou du second, si elles dégénèrent : voici un exemple bien décisif.

Le drouiller ou cratægus aria, Lin. ou alizier, (voyez ce mot) avec le cormier ou sorbier sauvage, ont produit une espèce vraiment distincte, & qui tient de tous les deux. M. von Linné l’a trouvée dans le Gothland, & il l’a nommée sorbus hybrida ou sorbier hybride. Cette partie du Nord ne possède pas exclusivement cette plante singulière ; on la trouve aujourd’hui, & depuis peu d’années, dans les montagnes de Neufchâtel en Suisse ; les anciens botanistes du pays n’en avoient aucune connoissance.

J’ai sous les yeux les manuscrits d’un homme bien digne de foi, & qui par modestie ne veut pas être cité, dans lesquels il m’assure en avoir rencontré deux pieds parmi les espèces déjà citées, sur une montagne éloignée de plus de dix lieues de tout jardin de curieux, d’amateur ; le même phénomène s’est donc manifesté dans des pays bien éloignés. Les semences de cette espèce hybride confiées à la terre, ont produit chez l’auteur de ces manuscrits des sorbiers hybrides, & M. de Janssen l’a assuré que de semblables graines ont donné au jardin du Roi, à Paris, des sorbiers hybrides & des sorbiers ordinaires ; mais, comme dans les jardins de M. de Janssen, il y a beaucoup de sorbiers communs, mêlés aux hybrides, ne peut-il pas se faire que ceux-là aient