Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/99

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de Cette, de Bayonne, de Bordeaux, de la Rochelle, de Nantes, de Brest, de l’Orient, de Dunkerque, & l’on jugera de la quantité énorme des eaux-de-vie d’Espagne qui entrent en France. L’étranger fournit donc la nation d’une marchandise qu’elle retireroit des productions de son territoire ; enfin la propriété de chaque individu, qui doit être sacrée, est violée sans aucun avantage pour la masse de la nation. Ces eaux-de-vie circulent ensuite dans l’intérieur du royaume, comme productions du pays, & comme telles elles sont souvent envoyées à l’étranger, & il en résulte donc un discrédit réel pour nos propres eaux-de-vie, attendu la mauvaise qualité de celles d’Espagne. Ce second point de fait mérite certainement d’être pris en considération.

Je conviens que les eaux-de-vie tirées du cidre & du poiré, n’ont pas l’amabilité de nos bonnes eaux-de-vie de vin ; mais j’ose assurer qu’elles sont à tous égards préférables aux eaux-de-vie d’Espagne, toujours âcres & d’un goût détestable. La comparaison est facile à faire, & prouve plus que tous les raisonnemens. Les premières ont quelque ressemblance aux eaux-de-vie tirées du vin muscat ou de tel autre vin très-liquoreux ; quelquefois elles ont un goût d’empyreume, &c. mais si on les distilloit après avoir clarifié la liqueur, si on réduisoit ces eaux-de-vie en esprits, après les avoir fait digérer dans l’eau, ainsi qu’il a été dit à l’article Distillation, relativement aux liqueurs, je suis bien convaincu qu’elles n’auroient pas les défauts qu’on leur reproche ; d’ailleurs, elles sont aussi salubres que celles du vin, & si jusqu’à ce jour on n’a pas travaillé à les perfectionner, c’est que la loi en proscrit le débouché.

Le même Édit du 14 Janvier 1715, défend également, sous les mêmes peines, la fabrication des eaux-de-vie de syrop, melasses, de grains, bière, baissière, marc de raisin, hydromel, & de tout autre matière que de vin. Personne, je crois, en France, ne s’occupera de la distillation des grains, ils y sont trop chers & mieux employés ; d’ailleurs, comme dans tous les royaumes du nord, cette distillation est prodigieuse, on n’en exporteroit point hors de France, & son goût détestable détruiroit bientôt la consommation qu’on voudroit en faire dans l’intérieur du royaume. Quant à celle des syrops & de la melasse, elle peut avoir lieu tout au plus & en cachette dans l’intérieur de Paris, afin de se soustraire aux droits d’entrée dans la ville ; ainsi, nulle réclamation sur ces articles, qui n’attaquent pas le droit de propriété des particuliers : il n’en est pas ainsi des eaux-de-vie de marc.

De ce qui vient d’être dit, il résulte quatre questions à examiner : 1°. Les eaux-de-vie de cidre, de poiré & de marc sont-elles nuisibles à la santé ? L’usage trop copieux, trop réitéré de toute espèce de liqueurs spiritueuses est nuisible. C’est donc l’abus & non la liqueur qu’on doit craindre. Le principe constituant de ces eaux-de-vie est l’esprit, identiquement le même que celui des eaux-de-vie de vin. Tout corps sucré fournit de l’esprit ardent, & cet esprit est par-tout le même ; & s’il paroît différer dans les unes ou dans les autres, c’est uniquement à cause d’un mauvais goût ou d’une