Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/432

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supérieure. Le grand point & la perfection de ces haies consiste dans la multiplication & le rapprochement des branches qui formeront autant de losanges ; alors chaque portion du losange sera garnie de bois à fruit & de brindilles (voyez ces mots) qui assurent l’abondance. Cette manière de disposer les branches, cette multiplicité de greffes s’opposent à la naissance des bois gourmands qui ruinent l’espalier si on ne sait pas en tirer parti, & si on les livre à l’impétuosité de leur sève ; elle met beaucoup plutôt à fruit les arbres sur franc, & comme je l’ai déjà dit, je conseille de n’en planter pas d’autres, parce que tout arbre greffé sur coignassier, sur paradis, a une végétation très-inégale & très-inférieure à celle de l’arbre greffé sur franc. Dans ces haies, tout bois est à fruit dès la seconde année ; & si elles ont un défaut, c’est d’être trop garnies de bois à fruit. Elles exigent donc de temps à autre de rabaisser ces bois à un pouce près de la mère-branche, afin de les forcer à en donner de nouveaux. Il est presque démontré que tous les arbres, en général, ne donnent que de deux années l’une, c’est le cas de choisir pour la taille, l’année d’intermittence.

Chacun sait qu’à force de greffer un sauvageon sur lui-même, son fruit perd peu à peu son âpreté, j’en ai la preuve sur un pommier de buisson. Je ne dis pas que les greffes multipliées aient converti son âpreté & son austérité naturelle en une substance délicate ; mais je dis qu’à la fin on pourroit manger ce fruit sans répugnance, & qu’il ne conserveroit presque plus de vestige de son premier état. Or, si des greffes réitérées d’un sauvageon sur lui-même produisent de bons effets & perfectionnent la qualité du fruit, que ne doivent donc pas produire de bonnes greffes ajoutées à une première bonne greffe faite dans la pépinière ? Pour peu que la saison favorise le développement des fleurs, & si les fruits aoûtent bien, (voyez ce mot) on sera étonné de la multiplicité des fruits, & de leur qualité. Ils seront moins gros, il est vrai, que ceux des arbres ordinaires ; mais il ne s’agit pas ici de ces fruits recherchés pour la table des grands seigneurs, mais de ce qui constitue une récolte & qui l’emporte toujours en valeur numérique sur celle de quelques beaux fruits vendus chèrement dans les grandes villes. J’ai plus en vue le soulagement de la classe du peuple, que la satisfaction ou la vanité des opulens. Augmenter le bien-être des malheureux habitans de la campagne est ma seule ambition.

Je ne vois aucun arbre fruitier, pas même le noyer, (je ne l’ai pas éprouvé) qui ne soit susceptible de recevoir cette greffe par approche. Je conseillai à un paysan, en parcourant la route d’Orléans à Bordeaux, à une ou deux postes près de Châteauroux, qui avoit des haies formées par des branches de noyer & d’autres arbres, de faire l’essai de ces greffes par approche. Il me le promit, & j’ignore si elles ont été exécutées. Je prie celui qui lira cet article & qui tentera cette expérience, d’avoir la bonté de m’en communiquer les résultats. L’amateur pourroit encore tenter de marier ainsi différentes espèces d’arbres, soit fruitiers, soit forestiers. Le pays que j’habite aujourd’hui ne me permet pas de me livrer à ces expériences.