Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/572

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tain nombre de cabas fabriqués avec la plante maritime appelée spart ; plats, carrés formant une poche, & ouverts dans la partie supérieure ; des piles, ou bassins de pierre ; deux cuviers placés sur le devant du pressoir, sont les principaux meubles de l’attelier.

Lorsque l’époque de la mouture approche, ou plutôt la veille ou l’avant-veille d’ouvrir le moulin, le propriétaire fait remplir la chaudière, & à grande eau bouillante lave à plusieurs reprises, & cabas & pressoirs & meule, &c., & il pense avoir tout fait. Je dis qu’il vaudroit mieux laver avec l’eau froide, elle entraîneroit les grosses ordures, & elle ne réveilleroit ni n’exalteroit pas le principe de rancidité contenu dans la crasse qui rêvet depuis longues années les pièces qui servent à la fabrication de l’huile. Tout le monde sait que l’eau froide, tiède, chaude, ou bouillante, n’est jamais miscible à l’huile. Elle coule nécessairement sur cette crasse huileuse & résineuse, sans en dissoudre la plus légère parcelle. À quoi servent donc les lavages ? à rien, quant à la propreté, & à beaucoup, quant à l’exaltation de la rancidité : si on doute du fait que j’avance, je prie les personnes exemptes de préjugés, de découvrir, si cela se peut, de quelle nature sont les pierres, soit de la meule, soit celle sur laquelle elle tourne, soit celle des piles ? Une croûte de crasse éternelle dérobe à la vue l’espèce de grain dont elles sont formées. Le plancher en bois du pressoir est plus visible ; mais il n’est pas moins imprégné d’huile depuis longues années.

Quant aux cabas, ils sont ou vieux ou neufs ; s’ils sont neufs, le spart, dont ils sont faits, imprime aux premières pâtes, dont on les remplit, une saveur âpre & amère, & c’est tout au plus après quarante-huit heures consécutives de service, que le mauvais goût est entièrement absorbé par l’huile qui en est sortie. On lave ces cabas, vous dira t-on, on les laisse tremper pendant plusieurs jours dans l’eau ; enfin, le propriétaire du moulin est obligé de s’en servir le premier pour son huile, & ceux qui font moudre après lui, ne craignent plus les suites fâcheuses d’un goût amer & mariné pour leurs huiles. Vaines excuses, plus captieuses que solides. Je sais par ma propre expérience, que vingt lavages consécutifs à l’eau chaude, & même bouillante, ne détruisent pas le mauvais goût. Je sais que laisser ces cabas surnagés d’eau pendant dix jours, & l’eau changée tous les jours, ne suffit pas. Je demande quel propriétaire de moulin les tient aussi long-temps sous l’eau, & quel ouvrier non salarié prendra la peine de puiser l’eau nécessaire au bain, ou de la changer ? C’est aux ouvriers du moulin à préparer tout ce qui est nécessaire, & ils ne sont payés que du moment qu’ils tirent l’huile ; ils n’ont aucun intérêt à la qualité de l’huile ; donc tout travail gratuit est mal fait. Je m’en rapporte sur ce point à ceux qui connoissent les ateliers.

Admettons que des lavages & des soins recherchés ayent, en grande partie, dissipé le goût de spart, le propriétaire fera la première huile avec les olives qui lui appartiennent ; mais pourra-t-on se persuader que le maître du moulin soit assez dénué de bon sens, & assez peu attentif à