Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/128

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témoignage de ses propres sens. Au reste, les inventions nouvelles, quelques bonnes qu’elles soient, sont toujours lentes à produire de grands effets, & pour y parvenir, il faut de toute nécessité qu’elles aient tourné en coutume.

Maximes.

Pour convaincre le paysan des avantages qu’on lui propose, pour le faire renoncer à ses anciens préjugés, & changer la routine dont il a hérité de ses pères, c’est l’affaire du temps & de la persuasion. Je ne puis m’empêcher de citer le conseil donné par Socrate dans Xénophon. « J’ai employé, dit-il, une attention toute particulière, pour connoître à fond ceux qui passoient pour les plus sages & les plus prudens dans chaque genre de profession. Étonné de voir parmi les gens qui s’occupoient des mêmes choses, que les uns restoient dans la misère, tandis que les autres s’enrichissoient considérablement, je trouvai cette observation digne des recherches les plus exactes, & de l’examen le plus rigoureux. Les soins que je me donnai m’éclairèrent sur la véritable cause de cette différence ; je vis que ceux qui travailloient sans réflexion, & comme au jour la journée, ne devoient s’en prendre qu’à eux de leur misère ; ceux au contraire qui, appuyés sur des principes stables & réfléchis, & guidés par des vues saines & déterminées, joignoient dans leur travail, l’assiduité à l’attention, & l’ordre à l’exactitude, se rendoient ce même travail plus facile, plus prompt, & infiniment plus profitable. Quiconque voudra aller à l’école de ces derniers, augmentera son bien, sans que rien puisse jamais le rebuter, & il amassera des trésors, quand même une divinité ennemie se déclareroit contre lui. » Ce qui vient d’être dit, sert de préliminaire au précis de la vie & des maximes du Socrate rustique, connu dans sa contrée sous le nom de Kliyoogg. Cet homme rare, ce vrai philosophe, doit toutes ses connoissances à ses réflexions. Sans ambition, il n’a d’autre but que l’utilité, aussi il prêche avec force de parole & d’action, ce qu’il croit être le plus avantageux.

Il vit avec l’un de ses frères ; ces deux familles ne forment qu’un seul ménage. Kliyoogg a six enfans, & son frère en a cinq. Leur fortune étoit des plus médiocres, à cause des liquidations qu’il falloit faire, & les difficultés paroissoient insurmontables. Tant d’obstacles réunis, réveillèrent le zèle du célèbre cultivateur, & l’animèrent à redoubler d’ardeur & d’application, afin de parvenir à les surmonter. Il songea bien sérieusement à remettre son héritage en valeur, & se porta gaiement, & sans délai, à exécuter ses projets.

Notre Socrate rustique obligé de spéculer sur tout, trouve d’abord que son cheval est plus dommageable que utile, aussi il est déterminé à s’en défaire, & augmenter du produit de cette vente le nombre de ses bœufs. L’entretien d’un cheval est, dit-il, très-dispendieux ; cet animal consomme autant de foin qu’une vache, & outre l’avoine qu’il lui faut de plus, nous devons compter au moins une pistole par an, pour le ferrage. De plus, le cheval diminue de prix en vieillissant, au lieu qu’un bœuf qui vieillit, se met à l’engrais, & se