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temps nous aient instruits sur la possibilité de la métamorphose qu’annonce M. de Francheville, nous croyons que l’amertume est aussi essentielle au marron d’Inde que la saveur sucrée l’est à la châtaigne ; elles dépendent l’une & l’autre de la matière extractive qui, dans le premier de ces deux fruits, est résino-gommeuse, & dans le second simplement muqueuse. La greffe chez celui-ci ne fait que développer & augmenter le principe déjà préexistant dans le sauvageon : si cela est ainsi, cette opération, loin d’adoucir le marron d’Inde, ne fera qu’accroître son amertume.

Il est cependant certain qu’on peut retirer du marron d’Inde la partie farineuse & nutritive qu’elle renferme, en appliquant sur ce fruit le procédé dont se servent les Américains pour retirer du manioc (Voyez ce mot) une nourriture salubre appellée cassave. On en sépare donc, à la faveur de la rape & des lotions, une véritable fécule ou amidon, qui, incorporé avec des pulpes, telles que celles de la pomme de terre, ou avec d’autres farineux, peut devenir un pain salutaire & nourrissant sans avoir aucune amertume. Mais quels que soient les avantages du marron d’Inde, considéré sous ses différens points de vue, il n’en est point qui puisse balancer celui de servir en totalité à la nourriture, sans qu’il soit nécessaire, pour l’y approprier, d’invoquer les secours de l’art, toujours embarrassant & très coûteux dans ce cas. Les tentatives de l’espèce de celles que propose M. de Francheville ne sont pas moins dignes d’être essayés ; pourquoi ne forceroit-on point quelques-uns de nos arbres forestiers à rapporter du fruit propre à nourrir ? ce ne seroit pas un si grand malheur que la chair des bêtes fauves n’eût plus le goût sauvageon ; ne vaut-il pas mieux s’occuper des moyens de multiplier nos productions, que d’en tarir la source : enfin, si l’on parvient jamais à enrichir le règne végétal, ainsi que nos tables, de ce nouveau fruit, d’autant plus précieux qu’il s’accommode à presque tous les climats, ce seroit encore un nouveau service que les sciences auroient rendu à l’humanité.

Marronnier d’Inde à fleur écarlate ou Pavia. Von Linné le nomme asculus pavia. Il diffère du précédent par ses fleurs qui ont huit étamines, par leur couleur écarlate, & elles sont plus petites. Cet arbre, originaire de l’Amérique septentrionale, peut s’éléver jusqu’à la hauteur de vingt pieds, & figurer dans un jardin d’amateur. On le multiplie par le semis de ses fruits, & par la greffe sur le maronnier ordinaire, ce qui évite l’embarras des semis, & accélère la jouissance : cependant, comme il n’y a aucune proportion entre la végétation du tronc du maronnier ordinaire & celle des branches du pavia, la beauté des greffes & des jets qu’elles ont fourni ne subsiste pas longtemps. Dans les climats froids, lorsque les étés sont courts, ou lorsque les gelées sont précoces, les fruits du pavia mûrissent rarement assez pour être semés ; lorsqu’ils sont parvenus à une maturité convenable, on les conserve dans du sable pendant l’hiver, & au premier printemps on le seme séparément & dans des pots. Dans les pays froids on enterre ces pots dans des couches, afin d’accé-