Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/68

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charmante, un beau désordre, des beautés toujours nouvelles, enfin la nature qu’ils ont exilée de leurs possessions.

Cependant, comme ces jardins symétriques ont encore leurs partisans, il est nécessaire de tracer sommairement les préceptes généraux de leur composition, tels qu’ils ont été donnés par Leblond, élève de Lenotre.

Tout le monde se croit en état de tracer le plan d’un jardin, & il n’est pas un seul architecte qui ne se regarde comme un grand homme en ce genre ; cependant j’ose dire qu’il faut un génie particulier, & que cet art est un des plus difficiles, parce qu’il ne porte sur aucune base fixe. Le plan total doit dépendre du site, des points de vue, de la position des eaux, de la nature du sol, du climat, relativement aux arbres, enfin de mille & mille circonstances. Tracer des quarrés, des ronds, des pattes d’oyes, des allées, des contre-allées, des bosquets, des boulingrins, des portiques ; indiquer la place des jets d’eau, des cascades, des statues, des vases, des treillages, &c., c’est moins que rien ; mais faire concourir chaque objet isolé avec l’ensemble général, c’est le maximum de l’art auquel peu de personnes parviennent, parce qu’il n’est pas dans la nature. Avant Lenotre, cet art étoit inconnu ; il l’a créé dans le siècle dernier. On ne se doutoit pas en France de la distribution & du luxe d’un jardin ; cet homme célèbre a eu un grand nombre de copistes, d’imitateurs, & pas un égal ; il assujettit tout au compas, à la ligne droite & à la froide symétrie du cordeau. Les eaux furent emprisonnées par des murs, la vue bornée par des massifs, &c., enfin on appela grand, majestueux, sublime, ce qui dans le fond n’étoit que beautés factices, difficultés vaincues, & monotone symétrie.

Section Première.

Observations préliminaires avant de former un jardin.

Le local de l’habitation décide communément de celui du parc ; on tient à ce qui existe, on veut le laisser exister, & souvent, pour conserver un bâtiment déjà fait, on multiplie les dépenses au double de ce qu’il en auroit coûté si on avoit tout abattu.

Avant de songer au plan d’un jardin, il faut examiner si l’emplacement qu’on lui destine est à une exposition saine, bien aérée ; si le sol est bon & fertile, si l’eau est abondante & heureusement placée pour la distribution générale ; s’il est possible de se procurer une vue agréable, de jolis paysages, l’aspect d’une ville ou de plusieurs villages, enfin si on peut s’y rendre facilement ; si une de ces conditions manque, il faut renoncer à l’entreprise.

Les plans en plaine sont plus faciles à dessiner que ceux placés sur des coteaux, mais ils sont privés d’un des plus beaux ornemens, celui qui embellit tous les autres, de la vue. De grandes & belles promenades de plein pied, & tout le luxe & la magnificence possibles, ne rachètent jamais cette privation. L’air est toujours plus pur sur les coteaux situés du levant au midi, la position en est riante, & tous les objets se dessinent à la vue ; au lieu que dans la plaine l’œil ne s’étend pas au-delà des allées & des palissades, en