Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/407

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dans une eau limpide. Le même moyen est employé pour enlever aux carpes d’étang le mauvais goût de limon que leur chair y contracte, ou bien, on les tient enfermées pendant quelques jours dans une huche attachée au milieu du courant d’une rivière. Si l’on est pressé de faire cuire une carpe d’étang, avant qu’elle ait eu le temps de dégorger dans l’eau vive, on la lave dans de l’eau bien fraîche, saturée de sel, et l’on répète cette opération jusqu’à ce que l’eau n’en sorte plus trouble. On peut aussi employer un procédé fort simple, et dont l’efficacité est attestée par des cuisiniers : c’est de faire avaler un demi-verre de vinaigre à une carpe pêchée dans des eaux vaseuses, au moment où on l’en tire ; on la laisse étendue sûr une table ; une sorte de transpiration épaisse paroit bientôt sur son corps ; on l’enlève en grattant les écailles avec un couteau, à plusieurs reprises ; et, dès que le poisson est mort, la chair est ferme et n’a plus aucun goût de vase. Il est bon aussi de dire que si, en vidant les carpes pour les apprêter, la vésicule du fiel se crève, ou fait passer l’amertume que cette liqueur répand, avec du fort vinaigre dont on frotte, l’intérieur du poisson.

La multiplication des carpes est un point important de l’économie publique ; presque toutes les eaux, celle de la mer exceptée, conviennent à ces poissons nullement délicats ; mais ils prêtèrent les lacs, les étangs, et les rivières qui coulent doucement. Ils vivent aussi dans les endroits les plus resserrés ; on peut en nourrir en telle quantité que l’on veut, et dans le sein même des habitations ; de sorte qu’ils font, pour ainsi dire, partie des espèces d’animaux que l’art de l’homme a réduites en domesticité. Leur chair fournit une nourriture saine et peu coûteuse, que le pauvre, dont les alimens sont si peu variés, peut se procurer comme le riche, qui convient également aux tables frugales et aux banquets somptueux, dont l’usage ne nuit à aucun tempérament, et que le convalescent peut manger, aussi bien que l’homme en santé. Certes, ce sont là des avantages précieux et difficiles à remplacer ; ils sont sans doute d’un assez grand poids, pour contre-balancer les motifs qui portent quelques écrivains à provoquer sans cesse la suppression des étangs sur toute l’étendue de la France. Il existe, à la vérité, plusieurs de ces réservoirs d’eau stagnante dont le voisinage est pernicieux ; mais il en est aussi que l’on doit excepter d’une proscription inconsidérée, si l’on veut ne pas priver la population d’une ressource alimentaire très-abondante, et qu’il est facile d’évaluer, d’après la consommation de la seule capitale de la France. Paris consomme, par an, environ vingt mille quintaux de carpes d’étangs, à deux livres et demie la carpe. Cette quantité est fournie par les étangs de la Bresse, du Forez, de la Sologne, et de quelques autres cantons moins éloignés. Les carpes sont, dans plusieurs contrées, un objet d’exportation profitable. En Prusse, par exemple, où ces poissons abondent, et sont fort gros, on en charge plusieurs navires qui les transportent à Stockholm, dont les eaux ne nourrissent que de petites carpes. Un zèle louable anime incontestablement ceux qui réclament l’anéantissement de tous les étangs ; mais leurs conseils, de même que d’autres du même genre prodigués en diverses circonstances, ne sont pas exempts d’exagération, et annoncent que leurs auteurs sont fort au dessus du besoin. Faut-il donc condamner les hommes à mourir de faim, pour les empêcher de périr de maladie ? (Voy. l’article Étang.)

Les écailles de la carpe de rivière ont un éclat plus vif de jaune doré, que celles de la carpe d’étang ; sa chair est aussi plus délicate, de meilleur goût, et d’autant plus