Page:Ruskin - Les Lys du jardin de la reine.djvu/55

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murs de vos parcs et les portes de vos jardins, vous contentant de savoir qu’il est, par delà, un monde entier à l’état sauvage, monde dont vous n’osez pénétrer les secrets ni concevoir les souffrances.

92. Je vous affirme que de tous les phénomènes de l’humanité, celui-ci est pour moi le plus surprenant. Je ne m’étonne point des profondeurs de dégradation où peut tomber l’humanité, lorsqu’elle s’est une fois détournée de l’honneur, Je ne m’étonne point de la mort de l’avare dont les mains en se relâchant laissent dégoutter l’or. Je ne m’étonne point de la vie du débauché qui va, les pieds enroulés dans un linceul. Je ne m’étonne point du meurtre commis par une seule main sur une seule victime, dans l’obscurité du chemin de fer ou à l’ombre des roseaux du marécage. — Même je ne m’étonne point des myriades de meurtres accomplis sur des multitudes, hardiment, sous la pleine lumière du jour, par la frénésie des nations, non plus que des maux incalculables, inimaginables, amoncelés de l’enfer au ciel par leurs prêtres et leurs rois. Mais ceci m’étonne ! oh ! m’étonne plus que je ne saurais dire, de voir, parmi vous, la femme tendre et délicate, son enfant sur son sein, dépositrice d’un pouvoir qui, si elle voulait l’exercer sur l’enfant et sur le père, serait plus fort que les eaux de la terre — que dis-je ? qui serait un abîme de bénédictions que son mari n’échangerait point pour toute la terre, quand même cette terre serait faite d’un seul diamant parfait ; — oui cela m’étonne de la voir abdiquer cette majesté pour jouer