Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/156

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pierres pendant que nous construisons nos églises avec des pierres carrées, très lisses et que nous nous croyons des sages.

Si j'ai fait allusion à ce sujet, c'est pour répondre aux objections de ceux qui se figurent que les mosaïques de Saint-Marc et de l'époque correspondante sont une représentation barbare de l'histoire religieuse : quand bien même ce serait vrai, elles n'auraient pas moins servi à l'enseigner. J'ai comparé l'église à un grand livre de prières ; les mosaïques étaient ses illustrations, elles contaient l'histoire sainte au peuple d'une façon peut-être plus impressionnante, quoique moins complète que la lecture de la Bible ne le fait aujourd'hui. Les protestants ne pensent pas assez que le peuple ne pouvait pas se procurer d'autre Bible. Si nous trouvons difficile de fournir à nos pauvres des Bibles imprimées, qu'était-ce donc quand il n'en existait que de manuscrites ? Les murs des églises devenaient la Bible des pauvres, et ses images se lisaient plus couramment qu'un chapitre. C'est sous cet aspect d'éducatrices du monde, dans sa jeunesse, que j'invite le lecteur à étudier les mosaïques de Saint-Marc et la suite de leurs sujets ; je proteste, en même temps, contre l'épithète de barbare que ne mérite pas leur exécution. Elles ont au contraire un caractère très noble où se retrouve le souvenir de la science du dernier empire romain. Les traits sont beaux, solennels ; les attitudes et les draperies sont très majestueuses dans les figures isolées et dans les membres des groupes qui ne se livrent pas à des mouvements violents. La couleur éclatante et l'absence de clair-obscur ne sauraient être considérées comme des imperfections, puisque c'était le seul moyen de rendre intelligibles les physionomies des personnages dans la distance et l'obscurité de la voûte.