Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/186

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Mer aussi importante que celle de la Piazzetta, n’existait pas. Il n’y avait qu’un étroit passage entre les piliers et l’eau, et le vieux palais Ziani s’étendait toujours sur la Piazzetta, gâtant, par sa décrépitude, la splendeur du carré où les nobles se rencontraient journellement. Chaque progrès dans la beauté du nouveau palais rendait plus pénible la différence existant entre les deux voisins et l’idée, encore vague, de détruire le vieux palais et de compléter, sur la Piazzetta, la splendeur de la façade de la mer, commença à germer dans les esprits. Mais, une mesure de rénovation aussi radicale n’avait pas été prévue par le premier projet du Sénat. D’abord la nouvelle salle, puis la porte, puis une plus grande salle ; tout cela avait été considéré comme des additions nécessaires, mais n’entraînant pas la reconstruction complète du nouvel édifice. Le trésor était épuisé et l’horizon politique, assombri, rendait plus qu’imprudente l’adjonction de l’énorme dépense que nécessiterait un tel projet : le Sénat, redoutant sa propre faiblesse, et désireux de mettre obstacle aux entraînements de son propre enthousiasme, rendit un décret — dernier effort de celui qui redoute une violente tentation et cherche à en détourner ses pensées, — par lequel il déclara que non seulement le Vieux Palais ne serait pas détruit, mais qu’il était interdit de proposer sa reconstruction. Le désir que chacun en éprouvait secrètement aurait rendu impossible toute discussion impartiale ; le sénat sentait trop que celui qui proposerait une pareille motion serait assuré de réussir.

Le décret ainsi rendu contre la faiblesse de chacun interdisait sous peine d’une amende de mille ducats, de faire allusion à la reconstruction du palais. Mais les sénateurs avaient estimé leur enthousiasme à un trop bas prix ; il se trouvait, au milieu d’eux, un homme que la