Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/258

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D’ailleurs, ce que sait une génération n’a pas plus de valeur qu’un alphabet pour celle qui lui succède : on raille ceux qui font montre de ce qu’ils ont appris, on n’accueille volontiers que le récit des choses vues et senties. Cet orgueil enfantin de la science qui faisait le fond de l’esprit de la Renaissance, fut la cause de son rapide déclin : un autre orgueil lui vint en aide, celui que nous avons appelé : « Orgueil d’État ».

C’est cet orgueil-là qui retarda l’éclosion de la moderne école du portrait : pour lui donner satisfaction, le peintre introduisit constamment, dans tous les fonds de ses portraits, un fragment d’architecture de la Renaissance, fût de colonne ou autre. Ces lignes maigres et raides produisaient une impression aristocratique du plus mauvais aspect. Froideur, perfection de forme, incapacité d'émotion, manque de sympathie pour la faiblesse des classes inférieures, présomption hautaine, inflexible; tels sont les caractères qui apparaissent clairement dans toutes les œuvres de la Renaissance. Les autres architectures ont fait quelque concession aux goûts simples de l’humanité ; elles ont offert le pain quotidien à l’appétit de la multitude, quelque preuve de sympathie aux esprits et aux cœurs moyens : le Gothique développa une fantaisie délicate, une riche décoration, l’état de la couleur : il montra, par sa rudesse d’exécution que, pour plaire aux autres, il ne craignait pas de laisser voir son ignorance. La Renaissance fit preuve d’une essence contraire froide, rigide, inflexible, capable de la plus minime concession. Chez elle, tout est raffiné, plein de hauteur et d’érudition. L’architecte sait qu’il ne travaille pas pour les intelligences moyennes ; il dit clairement : « Vous ne comprendrez mon œuvre que si vous avez étudié Vitruve. Je ne vous offre ni gaité de contours, ni gracieuses sculptures, rien qui puisse vous rendre heureux, car je