Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/275

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prosterné devant le Christ nous apprennent que ce tombeau est celui du Doge Giovanni Dolfino, qui monta sur le trône en 1356.

Il fut élu Doge pendant que, comme « proveditore », il défendait la ville de Trévise contre le roi de Hongrie. Les Vénitiens demandèrent aux assiégeants de permettre au nouveau Doge de traverser les lignes hongroises. Leur requête fut repoussée, les Hongrois exultant de retenir le Doge de Venise prisonnier dans Trévise: mais Dolfino, avec un corps de deux cents cavaliers, rompit, pendant la nuit, les lignes ennemies et atteignit Mestre (Malguera), où il fut accueilli par le Sénat. Sa bravoure ne put détourner les désastres qui s’accumulaient contre la République : cette guerre fut honteusement terminée par la perte de la Dalmatie ; le Doge en eut le cœur brisé ; il perdit la vue et mourut de la peste, quatre ans après être monté sur le trône.

Est-ce pour cela, ou par suite d’injures postérieures que ce monument ne porte aucun nom ? Il eut, sans aucun doute, à subir quelque violence, car la dentelure qui couronnait jadis la corniche est brisée ; heureusement, les sculptures du sarcophage n’ont pas souffert.

Aux angles, un Saint et une Sainte, chacun dans sa petite niche ; au milieu, le Christ assis sur son trône, le Doge et la Dogaresse à ses pieds ; les deux panneaux intermédiaires représentent l’Épiphanie et la mort de la Vierge. Les rideaux, soulevés par le vent, laissent voir ceux du fond, derrière le Christ assis ; la perspective se comprend suffisamment. Deux anges, plus petits, soutiennent les rideaux du fond et semblent abriter le Doge et la Dogaresse. Les statues, peu finement sculptées, sont pleines de vie ; le Christ, la main levée pour bénir, ne regarde personne : son regard va au delà.