Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/332

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ture, d’environ cinq pieds de haut, posé au sommet de l’autel, insulte que ne dut pas prévoir Tintoret, car en montant sur les marches et en regardant par-dessus ledit temple, on voit que, dans ce tableau, les figures du bas sont les plus travaillées. Il est étrange de constater que le peintre ne se montra jamais capable de représenter puissamment ce sujet ; dans le tableau dont nous parlons, il est curieusement empêtré par des types conventionnels. Il ne représente pas une Résurrection, mais plutôt de pieux catholiques romains qui pensent à la Résurrection. D’un côté de la tombe est un évêque en costume ; de l’autre, une sainte, je ne sais laquelle. A côté, un ange joue sur un orgue, souillé par un chérubin ; d’autres chérubins fuient dans le ciel avec des fleurs ; cette composition est un assemblage des absurdités de la Renaissance. De plus, elle est peinte lourdement, trop finie, et les chérubins sont épais et vulgaires. Je ne puis m’empêcher de penser que ce tableau a dû être réparé, car il y reste encore des parties puissantes. S’il est réellement l’œuvre du Tintoret, c'est un très curieux exemple de la défaillance que peut causer un travail trop prolongé sur un sujet vers lequel l’esprit de l'artiste n’est pas tourné. La couleur en est chaude et dure, pénible par son opposition avec la fraîcheur et la chasteté de la Crucifixion. L’ange qui joue de l’orgue est puissamment travaillé ; les chérubins aussi.

La descente aux enfers (à droite du grand autel). Très détériorée et peu à regretter. Aucune peinture ne m’a jamais autant intrigué : la facture en est négligée et même tout à fait mauvaise dans certains endroits. La figure principale, celle d’Ève, a été ou refaite ou faite par un écolier, ainsi que, d’après moi, la plus grande partie du tableau. On croirait que Tintoret a dû esquisser ce tableau étant malade, qu’il l’a laissé peindre par un mauvais élève, après quoi, il l’a terminé a la hâte ; mais il y est certainement pour quelque chose ; aucun autre n’aurait repoussé l’aide de la troupe de spectres dont tous les mauvais peintres remplissent cette scène. Bronzino, par exemple, couvre sa toile de tous les monstres que son imagination paresseuse a pu enfanter. Tintoret n’a admis qu’un Adam quelque peu hagard, une Ève gracieuse, deux ou trois Vénitiens en habit de cour qu’on aperçoit dans la fumée, et un Satan représenté par un beau jeune homme, uniquement reconnaissable aux griffes de ses pieds. Le tableau est sombre et abîmé, mais je suis certain qu’il