Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/87

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d'entrée se fussent transformés, à marée basse, en une masse traîtresse de lichens et de coquillages : tout le système du transport journalier des classes élevées, au moyen des gondoles glissant sur l'eau, eût dû être abandonné; on aurait élargi les rues, comblé le réseau des canaux et, du coup, tout le caractère du pays et du peuple eût été détruit.

Si on a éprouvé quelque chagrin à constater le contraste qui existe entre le tableau fidèle du site où fut élevé le trône de Venise et celui, beaucoup plus romanesque, qu'on est habitué à se représenter, ce chagrin devra être compensé par l'occasion qu'il nous fournit de reconnaître la sagesse des desseins de Dieu. Si, il y a deux mille ans, nous eussions pu constater le long transport du limon dont les fleuves troublés polluaient la mer, comment eussions-nous pu comprendre dans quel but se formaient ces îles tirées du néant et pourquoi ces eaux endormies étaient enfermées dans une muraille de sable désolé ? Comment eussions-nous deviné que les lois qui forçaient à s'étendre ces tristes bancs de sable sans culture, étaient la seule préparation possible à la fondation d'une ville qui allait être jetée sur le monde comme une ceinture d'or — qui allait écrire son histoire sur les blancs parchemins des flots, la raconter au bruit de leur tonnerre et répandre, au milieu de la fièvre universelle, la gloire de l'Occident et de l'Orient sortant du brûlant foyer de sa Grandeur d'âme et de sa Splendeur?