Page:Ryner - Jusqu’à l’âme, 1925.djvu/33

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ment impossible… Enfin, je te retrouve… Tu vivais… tu m’aimais… quelqu’un pensait à moi, sans en penser du mal… quelqu’un pensait à moi, pour me plaindre.

Robert. — Maman, maman.

Blanche, se reculant un peu pour le mieux voir. — Ah ! que tu es beau, mon Robert… Tu ne ressembles pas à ton père, pas du tout… Et tu es grand… Et tu es si bon et tu m’aimes si bien… Tu as raison. Partons. Laissons ces gens-là… Ne pensons plus à eux… Qu’ils soient heureux, s’ils veulent… Qu’est-ce que ça nous fait, puisque nous serons heureux nous deux ?

Robert. — Oui, maman, nous serons bien heureux. Et, quand on est heureux, on est bon… Ne sentez-vous pas que vous êtes très bonne ?

Blanche. — Oui, je me sens changée… Non, pas changée… Seulement, il y avait des choses qui pesaient sur mon cœur, des choses qui l’empêchaient de battre, qui me faisaient croire qu’il était mort… et qui n’y sont plus maintenant… Quand on retrouve son enfant, vois-tu, on retrouve son cœur.

Robert. — Écoute, maman. Veux-tu que nous causions un peu sérieusement ? (Il s’assied. Il continue en tenant la main de Blanche.) Tu sais, maman, le bonheur, Dieu ne le donne jamais, il le loue seulement.

Blanche. — Ne me fais pas peur, mon enfant.

Robert. — Je ne veux pas te faire peur. Seulement, le propriétaire du bonheur veut que tu paies le terme d’avance ?

Blanche. — Que veux-tu dire ?

Robert. — Il faut que vous rendiez d’autres personnes heureuses.

Blanche. — Tout ce que tu voudras… tout ce que je pourrai… je le ferai… je suis riche, tu sais… Et je crois que, pour qu’on soit tout à fait heureux, mais là, tout à fait, comme au ciel, il faudrait que tout le monde fût heureux.

Robert. — Oui, maman. Votre âme est belle. Elle est faite pour la joie.

Blanche. — Si je voyais quelqu’un malade ou triste, en ce moment, il me semble que ça gâterait un peu…

Robert. — Même sans les voir… Il suffit de penser que quelqu’un est malheureux et que nous pourrions le rendre heureux…

Blanche. — Ça, c’est une idée insupportable. Parce qu’alors c’est par notre faute qu’on serait malheureux… par notre faute à nous qui