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JUSQU’À L’ÂME


ACTE PREMIER

Un salon, d’une élégance austère, presque triste. La fenêtre est fermée. Quand elle s’ouvrira, elle laissera voir un paysage de montagnes.




Scène PREMIÈRE


LOUISE, LUCIEN

Louise. — Crois-moi, tu as tort de vouloir dire tout à cet enfant. Les enfants n’ont la force de porter la vie qu’à condition de l’ignorer.

Lucien. — Robert n’est plus un enfant. Je ne connais pas d’esprit plus solide et plus brave.

Louise. — Je le sais, il a toujours montré de la décision et de la persévérance. Mais, prends garde, le courage de la jeunesse est fait d’optimisme. La moindre déception, si elle arrive trop tôt, peut le briser… J’en suis certaine, mon ami, tu serais cruel et tu serais imprudent, si tu l’attristais de ce secret.

Lucien. — Tu ne sais pas tout ce que vaut Robert. Tu n’attends pas assez de lui.

Louise. — Si, je le connais bien et je l’apprécie. Ton fils est une pensée vigoureuse… Mais il est si différent d’étudier des problèmes abstraits qui sourient à notre curiosité… ou de se trouver tout à coup en présence d’une question douloureuse, qui commence par nous blesser… (Souriant.) Le naturaliste qui décrit exactement les caractères des animaux féroces peut très bien ne pas avoir les qualités d’un dompteur.

Lucien. — Robert a toutes les bravoures.

Louise. — Nous n’en savons rien, tant qu’il n’a pas eu à combattre avec la réalité. Il vit dans des rêves d'une beauté hautaine et un peu froide. Si tu parlais trop tôt, je craindrais…

Lucien. — Quoi donc ?

Louise. — Oh ! plusieurs choses. D’abord, la jeunesse est intransigeante : il nous mépriserait au lieu de comprendre. Et puis, le pauvre enfant… (Un silence d’hésitation.)