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le préteur

Que dis-tu, avorton boiteux ?


épictète

Un être soumis à toutes les craintes et à tous les désirs, un esclave de la peur et de l’espérance n’est pas plus un homme qu’une pomme en cire n’est une pomme. Tu as la figure et la couleur d’un homme. Tu te vantes d’avoir une forme plus régulière que la mienne. Mais la petite pomme ridée a une saveur qu’on ne trouvera point dans le morceau de cire et c’est en vain que celui-ci s’enorgueillit d’être plus gros, plus rond et plus rouge. Le courage est la saveur de l’homme. Tu es fade, ô apparence.


le préteur

Ainsi je suis à tes yeux une sorte de fantôme. Pourquoi parles-tu à un fantôme ?


épictète

O forme vaine qui as des oreilles pour ne pas entendre, tu as déjà posé cette question et j’y ai déjà répondu. Mes paroles sont inutiles pour toi comme l’apologie de Socrate fut inutile pour les Athéniens. Mais elle fut agréable aux dieux et utile à Socrate : il pensa la vérité avec une précision plus héroïque et il mit en action la philosophie que jusque là les circonstances lui avaient surtout fait mettre en paroles. Ce jour-là, le fils du sculpteur acheva de se sculpter, et les dieux se réjouirent de la beauté de la statue. Tu es le ciseau que les dieux me donnent pour que je me sculpte.


le préteur

Je ne suis pas ton instrument, je suis l’instrument de César. Et lui ne me comparerait pas à un ciseau stupide, mais à un serviteur fidèle et intelligent. Ou plutôt encore, je fais partie, ô gloire, des membres de César. Je suis la main de César