Page:Ryner - Les Chrétiens et les Philosophes, 1906.djvu/80

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serenus

Je n’ai pas besoin de la Providence pour être sage. Et, d’après toi, elle se désintéresse du partage des richesses, des dignités et des voluptés. Elle laisse le hasard donner à l’infâme Domitien non seulement les trésors et l’empire mais aussi un corps plus beau et plus sain que celui d’Épictète. En un mot, c’est mon Dieu, le Hasard, qui règle les choses extérieures, et la volonté de chacun de nous règle les choses intérieures. Il me semble que j’ai le droit de te demander quel domaine reste à ta Providence et à quoi elle peut bien servir.


épictète

Ingrat ! Pour que tu sois sage, il faut d’abord que tu sois, et que tu sois doué de raison. Tu n’es pas ton œuvre à toi-même, et non plus tes facultés. Est-ce toi qui as fait les couleurs ou qui t’es donné des yeux capables de les voir et de les distinguer ? Es-tu l’auteur de la lumière et des formes, ou est-ce toi qui as rendu le spectateur capable de voir le spectacle ? Admire et adore les merveilleuses correspondances de l’homme à l’univers… Ingrat ! Serena est belle, et tu as des yeux pour jouir de sa beauté. Cette rencontre ne te semble-t-elle pas providentielle ? Le hasard talonnant et maladroit, ou plutôt indifférent, t’aurait laissé aveugle comme un fragment de ténèbres qui marche ou bien il aurait groupé en laideurs folles les atomes qui composent toutes les femmes. Compare les rochers où le hasard ébaucha grossièrement des formes monstrueuses avec les statues dont l’harmonie est l’œuvre d’un sculpteur. La Minerve de Phidias, même si tu ignorais son origine, ne te paraîtrait point l’ouvrage du hasard. Mais tu prends Serena et tu prends le monde pour les travaux de l’ouvrier aux mille mains contradictoires et aveugles.


serenus

Tu ne crois pas à un Dieu extérieur au monde. Comment peux-tu parler d’œuvre et d’ouvrier ?