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prostitués

Elle doit causer souvent avec sa concierge ; car elle m’a raconté des histoires du quartier, quelconques. Il paraît que, hier, le petit épicier d’à côté est mort ou qu’il s’est marié (je ne sais plus bien) ; avant-hier, sur un banc de jardin public, un tourlourou embrassa une payse et, quoique ce fussent deux pauvres diables, leur baiser a dû être presque aussi bon que celui d’un rupin et d’une comtesse. Ah ! à propos, dimanche les orphelines ont passé par notre rue, deux à deux, les yeux baissés, bien sages, bien laides et bien tristes.

Lamentable, le vide de cette prétendue poésie ! D’ici, de-là, un peu d’amour du silence, et du calme, et des intimités: c’est avec une honnête femme et une bonne ménagère que nous sommes. Quelquefois aussi un mot de pitié banale pour les humbles. Et encore la pitié est un sentiment pénible contre lequel, instinctivement, la petite femme se défend. Après tout, ils ne sont pas plus malheureux que les autres, les pauvres ! Ils ont leurs joies comme les riches, et leur poésie. En plein air, ils se donnent des baisers qui ne sont pas si ridicules. Voyez-vous, monsieur, ma grand’mère avait bien raison de me répéter :