Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/174

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l’écriture, harmonieuse et inattendue. Elle choquera les écoliers qu’on décore du nom de critiques parce qu’ils savent sur l’art de composer les raides naïvetés scolaires et que, hardiment, ils affirment leur inintelligence hargneuse en généralisations de bons élèves. Entre deux fragments de mémoires nobles et douloureux, l’auteur a placé, d’une audace heureuse, le journal d’une perversité qui s’éveille. C’est, enveloppée au baiser d’un fleuve de poésie, une île de réalité perfide. De la vie moderne, grossière sous son élégance apparente, ricane en s’efforçant au plaisir superficiel ; mais tout autour, joie et douleur, profondeur et poésie et noblesse farouche, la vie des imagiers bretons sourit, pleure, chante.

Facile et naturelle, cette poésie sort sans bouillonnement d’une source généreuse. La réalité où se brisent ses flots chanteurs est dressée avec quelque effort peut-être, mais avec un effort triomphant. Jacques Fréhel est un poète né qui a su devenir un romancier. Artiste enfin complet, elle peut non seulement se dire tout entière, mais encore, sans risque de tomber, sortir de son âme, créer par art des êtres qui lui sont étrangers et les agiter en gestes naturels qui lui déplaisent.