Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/237

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ter auprès du bien-aimé comme une sœur auprès de son frère. Fantaisie déroutante, et qui dure longtemps, et qui durerait peut-être toujours. Heureusement la femme légale de Jude reparaît, et Suzanne accorde à la jalousie ce qu’elle refusait à l’amour. Elle accorde largement et fait trois enfants à Jude. Mais une aventure bizarre et mélodramatique tue les trois enfants.

Sous le choc du drame, un effrayant travail de désagrégation commence dans l’esprit de Suzanne. Son ancienne logique croule. Des mysticités poussent sur les ruines. Parce qu’elle est malheureuse, elle se croit punie, elle se croit criminelle. La morale, dans ces lueurs d’orage, ne lui paraît plus la même qu’à l’aube de l’espérance et au soleil du bonheur. En vain Jude s’irrite, affirme avec une énergie croissante que les vérités éternelles ne doivent pas être vues aux reflets changeants des événements fortuits. La petite Sue n’est pas de force à porter la douleur : elle s’enivre pour oublier, elle s’enivre de foi comme quelques-uns s’enivreraient de gin. Or, « l’un et l’autre de ces empoisonnements ôte la vue un peu noble des choses. » Enfin, en une raide course ébrieuse, elle revient à