Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/15

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J’étais là ce matin à l’heure radieuse
Où se lève l’aurore ardente sur la mer,
Et le couchant, avec son ciel de scabieuse,
Secouera sur mon front les vents au souffle amer.

Alors je connaîtrai, l’âme tremblante et lasse,
L’angoisse d’être seule et triste, et de m’asseoir
Sur le bord de la route et de suivre la trace
De mon rêve, fuyant sur les ailes du soir.

Je resterai, les bras fermés, les lèvres closes ;
Je saurai la cruelle et poignante douceur
De voir, sans les cueillir, mourir toutes les roses,
Et de pleurer sur moi, sur moi qui fus leur sœur.
 
Je laisserai tomber le voile noir de l’ombre
Sur mes mains, sur ma joue et sur mes cheveux lourds ;
Ma robe blanche aura des reflets d’un bleu sombre
Pour le deuil de mon cœur qui n’attend rien des jours.

J’écouterai la nuit m’apprendre le silence,
Le stoïque dédain des caprices du sort ;
Je m’envelopperai de calme indifférence
Pour regarder venir la vieillesse et la mort.

Puis je me lèverai dans le matin tranquille ;
Personne ne lira la douleur dans mes yeux
Lorsque je reprendrai le chemin de la ville,
Emportant le secret des choses et des cieux.

J’irai vers les cités tristes où le mensonge
Obscurcit le visage auguste du devoir ;
Les mains pleines des fleurs de l’amour et du songe,
Au seuil gris des maisons je sèmerai l’espoir.

Un peu d’espoir, un peu de joie ou de tendresse
Pour les cœurs douloureux que la vie a meurtris !
Je leur dirai : « Je suis votre sœur de détresse ;
J’ai pleuré comme vous avant d’avoir compris.

« Mais à présent j’ai lu dans mon âme, et pour elle
J’accepte de souffrir, seule en l’obscurité ;
Je tourne mon regard vers l’aurore éternelle ;
J’aime, et mon cœur est lourd de sa félicité.