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Fermons les yeux. Rêvons à l’été qui viendra,
Aux figuiers bleuissant sur les montagnes rousses,
A l’odeur du soleil sur les lavandes douces.
Aux fruits qui mûriront, au vent qui passera.

Aimons des durs midis les couleurs violentes,
L’argent noir des lauriers et l’éclair des roseaux.
Aimons les soirs de brume chaude où les troupeaux
S’attardent au fossé que veloutent les menthes.

Vivons l’été futur du fond de notre ennui,
Je sais... nous n’aurons pas de joie à le connaître.
Mais puisqu’en cet instant son amour nous pénètre
Laissons s’exaspérer notre désir de lui.

Car nous mourons ce soir, d’un besoin « d’autre chose »,
Dans l’ombre, sous la pluie, aux rumeurs du faubourg,
Endoloris d’avoir respiré tout le jour
L’air fiévreux de la chambre où s’étiole une rose.


MA SŒUR L’EAU


Ma sœur l’Eau, ma sœur chère, oh ! docile extatique
Qui riez du cœur stable et de la vie unique,
Et vous désagrégez et vous recomposez,
Et savourez en vous les reflets imposés,

Et courbez votre ligne à la ligne du vase.
Selon la forme qui s’effile ou qui s’écrase.
Et, changeante à chercher quelle âme vous convient,
Vous saturez de tout et ne conservez rien.

Ma sœur l’Eau, ma sœur molle et forte, insatiable,
Vous buvez le ciel blond et vous faites de sable,
Vous vous faites pesante à boire le ciel gris
Comme un Acte d’amour dont les mots sont appris ;

Votre être, voulant mieux, toujours prêt, semble vide.
Ah ! multiple, si froide et doucement avide.
Avec votre cœur vague et votre ennui chantant,
D’où me peut-il venir que je vous aime tant ?