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MARIE DAUGUET

Comme on souffre la vie et comme on se résigne
Au labeur incessant sous l’impassible ciel.

Les voici, attentifs à la moindre parole,
Grivelot et Pommé, car on mène les bœufs
— Et cette mélopée au fond du soir s’envole —
Sans rudesse, en causant tête à tête avec eux.

Et souvent je les joins l’automne à la charrue.
Leur parlant à leur gré un langage choisi,
Caressant de la main leur figure velue,
Leur front calme, leur flanc que le couchant roussit.

Ô cœur, ô cœur le mien, plein d’inquiète écume,
Bondissant et toujours vide et torrentueux,
Regarde ces bœufs doux et la glèbe qui fume
Comme un paisible autel, sois paisible comme eux.

Sois le cœur ingénu de ces grands bœufs, tes frères,
Qu’aucune vérité n’altère ou ne corrompt ;
Sois le cœur infini et profond de la terre,
Mirant un peu de ciel au dos bleu des sillons.

(À travers le Voile.)


AURORE


Dans l'étable nuiteuse encor les bœufs s’ébrouent,
Étirent lourdement leurs membres engourdis,
Réveillés tout à coup par un coq qui s’enroue
Et dont le cri strident semble un poignard brandi.

Trempé d’aube, dehors, le fumier resplendit
Contre un mur délabré qu’une lucarne troue,
Parmi des bois pourris, des socs, des vieilles roues,
Et lance vers le ciel des parfums attiédis.

Cernant une écurie ouverte au toit de mousse,
Qu’emplit un vibrement nuageux d’ombre rousse,
Du purin, noir brocard, s’étale lamé d’or,

Où fouillent du groin activement les porcs,
Et dans la paille humide et qu’ils ont labourée
Le soleil largement vautre sa chair pourprée.

(Par l'Amour)