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JE VIVRAI DANS L’ODEUR

DES GLÈBES EMBUÉES


Je vivrai dans l’odeur des glèbes embuées,
Quand on attache, en mars, les bouvaçons au joug
Et qu’ils s’en vont traînant, sous la rose nuée,
La charrue ou la herse aux cahotants écrous.

Je vivrai dans l’odeur du marécage roux,
Lorsque au nerveux soleil, qui sous l’eau les chatouille.
Entre les iris blonds, les carpes dorées grouillent ,
Et fraient, collant au sol vaseux leur ventre doux.

Quand la sève en vertige, avec des frissons blêmes.
Met au cœur de la planta un sensuel émoi
Et fait jaillir la fleur du bourgeon trop étroit,
Je vivrai dans l’odeur du grand spasme suprême.

Je vivrai dans l’ardeur des succulents épis,
Que nourrit la clarté vivante du soleil ;
Dans l’odeur des troupeaux, par les sombres vermeils
Broutant, et des ruchers sous leurs vieux toits tapis.

Je vivrai dans l’odeur des couchants évirés
Sur les marais plaintifs où s’effeuille l’automne
Et dans celle du vent, monotone cromorne,
En hiver poursuivant ses refrains altérés.

Je vivrai dans l’odeur des succulents épis,
Depuis l’avril dansant sa danse orgiastique,
Jusqu’à décembre noir au sommeil léthargique,
Dans l’odeur de la brise et celle des antans.

Pour l’avoir déchiffrée, l’énigme au sens profond.
Et fièrement chantée, mieux que nul autre sur
La musette rustique et le flageolet pur,
Je vivrai dans l’odeur divine des saisons.

(Les Pastorales.)