Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
LES MUSES FRANÇAISES

Et toujours, face au large où neigent des mouettes,
Dans la sécurité comme dans le péril ;
Seule, elle mènera son vaisseau vers l’exil
Où s’en vont à jamais les désirs des poètes ;
 
Seule, elle affrontera les assauts furibonds
De l’ennemie énigmatique et ses grands calmes ;
Seule, à son front, elle ceindra, telles des palmes,
Les souvenirs de tant de sommeils et de bonds.

Et quand, ayant blessé les flots de son sillage,
Le chef coiffé de goémons, sauvagement,
Elle s’en reviendra comme vers un aimant
A son port, le col ceint des perles du voyage,

Parmi toutes les mers qui baignent les pays,
Le mirage profond de sa face effarée
Aura divinement repeuplé la marée
D’une ultime sirène aux regards inouïs.


…J’ai voulu le destin des figures de proue
Qui tôt quittent le port et qui reviennent tard.
Je suis jalouse du retour et du départ
Et des coraux mouillés dont leur gorge se noue.

J’affronterai les mornes gris, les brûlants bleus
De la mer figurée et de la mer réelle,
Puisque, du fond du risque, on s’en revient plus belle,
Rapportant un visage ardent et fabuleux.

Je serai celle-là, de son vaisseau suivie,
Qui lève haut un front des houles baptisé,
Et dont le cœur, jusqu’à la mort inapaisé,
Traverse bravement le voyage et la vie.

(La Figure de Proue.)


MÉDITATION SUR UN VISAGE


J’ai douloureusement médité devant vous
Et j’ai pleuré sur vous, vieille dame étrangère,
Qui ne pouviez savoir ma jeunesse légère
Occupée à fixer vos traits pâles et mous.