Mon cher pays, le seul où mon cœur se retrouve
Chez lui, sans plus songer à revendiquer rien,
Mon cher pays, le seul où je me sente bien
Comme un petit contre sa mère qui le couve.
Louange à toi, beau lait, ô mon lait maternel !
Donne-moi la vigueur qui menait mes aînées.
Puisses-tu me nourrir encor bien des années
Avant l’ennui profond du repos éternel.
La mort m’a dit : « Poète, il est temps ! si tu veux,
« Doucement je mettrai mes doigts sur tes paupières,
« Et tu t’endormiras dans la pleine lumière,
« Avant d’avoir perdu le souvenir des dieux.
« Ainsi, devançant l’heure où les êtres se couchent,
« J’offre à ta jeune vie un émouvant destin ;
« Car je vais, d’un ciseau funèbre et clandestin,
« En pleine passion sculpter ta belle bouche.
« Je suis douce. Mon lit est mol, ample, profond ;
« Dans mon parterre en fleurs un beau soleil se joue.
« La place est déjà creuse où tes cendres seront,
« Je sens déjà fleurir mes roses dans tes joues. »
— Mais moi j’ai dit : « Je veux rester encore un peu
« À l’étroit de mon corps païen, près de mon âtre.
« Car j’aime le luth courbe et l’amphore d’albâtre
« De ma forme, et mon front natté de petit dieu.
« Car j’aime mon esprit ivre de solitude,
« Tout le mal qui m’est fait, tout le mal que je fais,
« La joie et la douleur, le plaisir et l’étude,
« Et le Pour, et le Contre, et la Cause et l’Effet.
« J’aime… J’aime !… Je veux m’unir aux paysages,
« Je veux la nuit, je veux le vent, je veux la mer,
« Et baiser tour à tour sur leurs quatre visages
« Les exactes saisons au regard sombre ou clair.