Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/82

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c’était au printemps, le beau temps était revenu, je fus surpris de voir un mouvement extraordinaire ; le village avait pris un air de fête ; on marchait par bandes ; chacun avait ses beaux habits des dimanches, et, ce qui m’étonna plus encore, tous les ânes du pays y étaient rassemblés. Chaque âne avait un maître que le tenait par la bride ; ils étaient tous peignés, brossés ; plusieurs avaient des fleurs sur la tête, autour du cou, et aucun n’avait ni bât ni selle.

« C’est singulier ! pensai-je. Il n’y a pourtant pas de foire aujourd’hui. Que peuvent faire ici tous mes camarades, nettoyés, pomponnés ? Et comme ils sont dodus ! On les a bien nourris cet hiver. »

En achevant ces mots, je me regardai ; je vis mon dos, mon ventre, ma croupe, maigres, mal peignés, les poils hérissés, mais je me sentais fort et vigoureux.

« J’aime mieux, pensai-je, être laid, mais leste et bien portant ; mes camarades, que je vois si beaux, si gras, si bien soignés, ne supporteraient pas les fatigues et les privations que j’ai endurées tout l’hiver. »

Je m’approchai pour savoir ce que voulait dire cette réunion d’ânes, lorsqu’un des jeunes garçons qui les tenaient m’aperçut et se mit à rire.

« Tiens ! s’écria-t-il ; voyez donc, camarades, le bel âne qui nous arrive. Est-il bien peigné !

— Et bien soigné, et bien nourri ! s’écria un autre. Vient-il pour la course ?