Page:Ségur - Nouveaux contes de fées.djvu/272

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— Ah ! Ah ! C’est toi qui, dans ton enfance, allais au marché et faisais peur à nos enfants ! Tu as vécu dans les bois ; tu t’es passé de notre secours. Pourquoi viens-tu nous trouver maintenant ? Va-t’en vivre en ours comme tu as vécu jusqu’ici.

— Notre ferme est brûlée. Je dois faire vivre ma mère et ma sœur du travail de mes mains ; c’est pourquoi je viens vous demander de l’ouvrage. Vous serez content de mon travail : je suis vigoureux et bien portant, j’ai bonne volonté ; je ferai tout ce que vous me commanderez.

— Tu crois, mon garçon, que je vais prendre à mon service un vilain animal comme toi, qui fera mourir de peur ma femme et mes servantes, tomber en convulsions mes enfants ! Pas si bête, mon garçon, pas si bête… En voilà assez. Va-t’en ; laisse-nous finir notre dîner.

— Monsieur le fermier, de grâce, veuillez essayer de mon travail ; mettez-moi tout seul : je ne ferai peur à personne ; je me cacherai pour que vos enfants ne me voient pas.

— Auras-tu bientôt fini, méchant ours ? Pars tout de suite, sinon je te ferai sentir les dents de ma fourche dans tes reins poilus. »

Le pauvre Ourson baissa la tête ; une larme d’humiliation et de douleur brilla dans ses yeux. Il s’éloigna à pas lents, poursuivi des gros rires et des huées du fermier et de ses gens.

Quand il fut hors de leur vue, il ne chercha plus à contenir ses larmes ; mais, dans son humiliation, dans son chagrin, il ne lui vint pas une fois la