Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/149

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nous a pas distribué le courrier, et, comme j’ai le temps de récrire en ce moment, j’en profite. J’espère avoir ta lettre ce soir ou demain, et je m’en réjouis bien. Je pense toujours à toi, mon excellente mère, et, à force de vivre dans le calme absolu où nous sommes, il ne me paraît pas possible que tu sois tourmentée. Cependant tu ne me vois pas ; si tu pouvais seulement passer un quart d’heure ici, tu serais bien rassurée. C’est monotone à force d’être tranquille. Depuis que je suis ici, il y a quinze jours aujourd’hui, nous ne sommes montés à cheval qu’une seule fois, et encore, comme je te l’ai dit, n’avons-nous rien vu. Le temps se passe donc à s’ennuyer. Je me crois tout à fait à la campagne : par exemple, le genre de vie est drôle, ce n’est pas confortable, mais au moins il n’y a pas de cérémonies. Je me porte à merveille cette existence me convient bien… Il y dans le camp toute une ménagerie, entre autres un mouton qui mange à table : il y a aussi beaucoup de chiens avec lesquels je me lie toujours en pensant à Pampan. Du reste, c’est incroyable comme on sait peu de chose. Au point où nous sommes établis, on s’occupe assurément moins de Sébastopol qu’à Paris. Franchement, si la campagne se borne à cela, il n’y a pas grand mérite à la faire.

« … Sans avoir grand-chose à faire, j’ai cependant peu de temps, et puis c’est bien gênant d’écrire par terre, au grand soleil, et littéralement dévoré de mouches. Le dimanche à onze heures, il y a la messe au camp : c’est bien touchant ! On la dit sous une petite tente c’est un cuirassier qui faisait l’enfant de chœur…

« … Adieu, ma bonne mère, je ne puis que te répéter que je te remercie de tout mon cœur de m’avoir laissé venir, que je pense toujours à toi, et que je t’aime bien tendrement. Écris-moi souvent, toi qui peux le faire sur une table et sans mouches !… »