Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/217

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dans la tête du colosse, où douze personnes peuvent, dit-on, tenir assises en même temps. Malgré ces prodigieuses dimensions, l’aspect général ne choque pas, à cause de la parfaite proportion de toutes les parties. L’attitude du saint est à la fois majestueuse et recueillie ; sa tête est légèrement inclinée et retournée du côté de Milan, qu’il semble regarder avec une tendresse paternelle. Il tient un livre d’une main ; l’autre main, étendue, semble bénir cette heureuse contrée qu’il aima tant, où il fut aimé, et qu’il protège du haut du ciel.

Cette statue, élevée par les Borromée à la mémoire de leur immortel cardinal, aux acclamations du Milanais tout entier, est certainement le monument le plus gigantesque qui ait jamais été élevé par l’orgueil légitime d’une famille et d’un peuple à l’humilité d’un saint. Ceux qui l’ont fait faire ont voulu que sa grandeur répondît autant que possible à la grandeur des vertus et de la mémoire de l’homme céleste qu’elle représente, et ils ont pensé qu’ils ne pouvaient faire un plus noble emploi de leur fortune qu’en la consacrant à la glorification d’un serviteur de Dieu. Ils ont fait ainsi une application frappante et presque matérielle de cette divine parole de l’Évangile : « Celui qui s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé. »

Ils ont raison, du reste, famille et peuple, d’être fiers de leur saint, car il y en eut peu de plus grands dans l’Église. Quand on songe qu’il fut cardinal et archevêque à vingt-trois ans et qu’il mourut à quarante-six ans, après avoir accompli tant de grandes choses et des travaux auxquels la vie humaine la plus longue semble n’avoir pas dû suffire, on admire la puissance de Dieu dans les instruments bénis qu’il s’est choisis ici-bas. Saint Charles Borromée a été la plus éclatante réponse que l’Église ait faite aux prétentions impies de la Réforme. Lui aussi fut