Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’histoire de toutes les vies généreuses, ces premiers temps, ces souvenirs anciens qu’aucun autre n’effacera, et qui, jusqu’à la dernière vieillesse, laisseront à notre âme un parfum du passé. Cependant, malgré la force de ces jeunes liaisons, le simple cours des années en suspend le progrès nos yeux, en s’affermissant, deviennent moins sensibles aux beautés de notre âge ; quelque chose qui n’est plus de l’enfance nous délivra de ce charme premier qu’aucun autre peut-être n’égalera, mais qui ne nous suffit plus. L’amitié se refroidit dans une confiance grave et virile, et, à notre âme, montée d’un degré sur le cycle de la vie, il faut un attrait nouveau qui la subjugue en la remplissant. En dirai-je le nom ? Et pourquoi ne le dirais-je pas ? Il est deux choses devant lesquelles, avec l’aide de Dieu, je ne reculerai jamais : le devoir et la nécessité. C’est une nécessité de mon discours que je prononce le nom trop profané du second sentiment de l’homme ; je le prononce donc et je dis à l’homme gravitant de l’adolescence à la maturité, il faut un attrait qui satisfasse à la fois sa jeunesse et sa force, son besoin de renouvellement et d’avenir ; Dieu lui a préparé l’amour, qui doit, s’il est vrai, c’est-à-dire pur, achever l’éducation de sa vie et le rendre digne d’avoir une postérité. Mais, Ô faiblesse de notre nature ! bientôt les soucis de la virilité plissent notre front ; les rides y creusent à la pensée un honorable témoignage : que faut-il de plus ? Incapables d’obtenir désormais la réciprocité d’un enivrement apaisé déjà pour nous, et qui n’a plus assez d’illusions pour se nourrir, nous nous reposons dans un attachement plus calme, plus serein, doux encore, mais qui ne mérite plus d’être comparé à l’entraînement de cette passion que j’ai nommée tout à l’heure par son nom propre.

« Toutefois les ressources de l’âme humaine ne sont pas à bout ; fille de l’amour éternel, le génie de sa source