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un monde inconnu

Marcel, qui avait examiné avec eux cette importante question, avait manifesté le désir d’utiliser à cet effet les graines diverses, céréales et légumineuses qu’il avait apportées de la Terre, et d’essayer aussi la culture des essences fruitiéres dont il s’était également muni. Une assez vaste région avait été aménagée à cet effet. Sur les indications de Marcel, les Diémides mis à sa disposition avaient fabriqué les instruments aratoires, et bientôt les trois exilés de la Terre avaient pu contempler comme un champ cultivé leur rappelant leur planète natale.

Mais il était quelqu’un à qui la perspective de cette nourriture de végétariens ne souriait que médiocrement, c’était lord Rodilan.

« Les conserves de corned beef, de ham, de gibier, passe encore, disait-il d’un ton piteux, bien que cela ne vaille pas une large tranche de roastbeef saignant ; mais vos choux, vos carottes, peuh ! le triste régal. Je ne suis pas un lapin pour vivre de la sorte et ne saurais m’y faire. »

Souvent il jetait des regards de convoitise sur les gracieux et jolis animaux qui bondissaient au milieu des plaines, ou sur les poissons aux écailles changeantes qui sillonnaient comme d’un éclair d’argent les ondes limpides de la mer et des ruisseaux. Il se disait qu’avec un des bons fusils de chasse ou quelqu’une de ces lignes perfectionnées qui figuraient en ce moment dans le musée du palais, il aurait bientôt fait de se procurer de savoureux repas. Il n’avait pu même résister à la tentation de s’en ouvrir à leur ami Rugel ; mais celui-ci avait répondu en souriant, comme s’il comprenait les exigences de cet estomac britannique.

« Hélas ! il vous faudra, ami, renoncer à cette espérance. Le meurtre ici est chose inconnue ; tous les êtres vivent dans une sécurité complète ; la vie, émanation de la toute-puissance de l’Être Souverain, est chose sacrée. Que, dans votre monde où de tristes nécessités vous obligent à vous repaître d’êtres animés, vous soyez conduits à imiter l’exemple que la nature vous y donne elle-même, cela se comprend et se peut excuser. Mais rien ne saurait chez nous rendre admissible une pareille atteinte à l’ordre et à l’harmonie de notre monde. Rassurez-vous toutefois : nos savants ont songé à vous ; ils connaissent aujourd’hui les