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au fond du gouffre

peu la place de l’eau expulsée. Au bout de quelques instants le tube était plein et le robinet fut fermé.

« Maintenant, dit Marcel, en attendant que notre expérience s’achève et comme nous avons quelque temps devant nous, nous allons déjeuner.

— Déjeuner ou dîner ? dit Jacques.

— Il serait plus logique de dire souper, reprit lord Rodilan, car nous sommes en pleine nuit.

— Comme il vous plaira, répliqua Marcel. Pour moi je me sens un furieux appétit : toutes ces émotions m’ont terriblement creusé.

— Ma foi ! fit l’Anglais, puisque nous ne sommes pas encore morts, je prendrai volontiers quelque chose.

— Voilà, dit Marcel, une conserve de volaille de « Crosse and Blackwell » dont vous me direz des nouvelles. »

Et tous les trois, assis sur le divan circulaire, se mirent à mordre à belles dents dans des ailes et des cuisses de dindes qui plongeaient au milieu d’une gelée savoureuse et fortement parfumée de truffes. Des biscuits de première marque leur servaient de pain. L’Anglais surtout travaillait consciencieusement.

« Je vois, mon cher lord, dit Jacques en riant, que pour un homme dégoûté de la vie, vous ne faites pas fi des moyens de la sustenter et de la prolonger.

— By Jove ! répondit lord Rodilan, la bouche pleine, je veux bien mourir écrasé, mais il n’est pas entré dans mon programme de me laisser bêtement mourir de faim. Or, quand on mange il faut boire ; qu’allez-vous nous donner, ami Marcel, pour arroser cette succulente nourriture ?

— Ma foi, dit Marcel, je dois sur ce point réclamer toute votre indulgence. Je n’ai emporté que quelques bouteilles d’un petit vin léger, suffisamment digestif et qui, je l’espère, ne vous montera pas à la tête ; car, vous le comprenez, j’ai dû prévoir et craindre les maléfices du jus de la grappe. »

Les deux amis firent une grimace significative. Marcel souriait dans sa moustache. Il prit dans une caisse, où elles étaient soigneusement enveloppées dans une chemise de paille, une bouteille au goulot hermétiquement cacheté.