Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/101

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maintient dans leurs dignités ceux qui ont mérité de les perdre, il fait ce qui n’est possible qu’à celui-là seul qui dispose de tout. On peut en effet ôter la vie à son supérieur, on ne saurait la donner qu’à son inférieur. Sauver, c’est le privilège de la dignité suprême, qui ne doit jamais être envisagée avec plus de respect que lorsqu’elle a le bonheur d’exercer le même pouvoir que les dieux, auxquels, bons et méchants, nous devons tous également le jour. Qu’un prince, s’élevant aux sentiments de la divinité, se complaise donc à voir ceux de ses sujets qui sont vertueux et utiles, et laisse le reste dans la foule ; qu’il se félicite de l’existence des uns et qu’il souffre celle des autres.

VI. Songez que vous êtes dans une ville où, au milieu des rues les plus larges, une foule sans cesse en mouvement se presse jusqu’à s’étouffer dès qu’un obstacle arrête dans son cours ce torrent rapide ; où, au même instant, le peuple se fait jour vers trois théâtres15 ; où l’on consomme les produits du monde entier. Figurez-vous quelle solitude, quelle désolation y règnerait, si l’on n’y épargnait que ce qu’une justice sévère aurait absous ! Existe-t-il un magistrat qui ne soit en contravention à la loi en vertu de laquelle il informe ? est-il un accusateur qui soit exempt de reproche ? Je ne sais si les hommes qui se montrent les plus difficiles à accorder le pardon aux autres ne sont pas précisément ceux qui, le plus souvent, se sont mis dans la nécessité de l’implorer. Nous avons tous commis des fautes, les unes graves, les autres légères ; celles-ci avec préméditation, celles-là par l’effet d’une impulsion fortuite, ou par les suggestions de la perversité d’autrui ; quelques-uns de nous enfin n’ont pas persisté assez courageusement dans les bonnes résolutions