Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/121

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on entendit le même Sylla proférer ces paroles : « Sachons enfin comment on doit sévir contre des ennemis, et par conséquent contre des citoyens qui, se détachant de la société, se sont mis en état d’hostilité contre elle. »

Au reste, comme je l’ai dit, la clémence établit entre le monarque et le tyran cette différence essentielle, que les armes dont ils sont entourés l’un et l’autre servent au premier pour maintenir la paix, à l’autre pour comprimer, par une profonde terreur, la haine qu’il excite ; et ces bras mêmes auxquels il se confie, il ne les envisage pas sans effroi : il tourne dans un cercle vicieux, car il est haï parce qu’il est craint, et il veut se faire craindre parce qu’on le hait. Il prend pour devise ce vers exécrable qui a perdu tant de ses pareils : « Que m’importe d’être haï, pourvu que l’on me craigne ».

Il ignore que la haine, quand sa mesure est comblée, se change en fureur. En effet, une crainte modérée contient les esprits ; mais lorsqu’elle est continuelle et violente, lorqu’elle offre sans cesse l’image de périls extrèmes, elle réveille l’audace dans des âmes abattues, et elle les porte à tout entreprendre. C’est ainsi qu’une enceinte formée de cordes garnies de plumes suffit pour arrêter les bêtes fauves ; mais, poursuivies par le chasseur qui les harcèle de ses traits, elles cherchent à fuir à travers les obstacles devant lesquels elles reculaient, et foulent aux pieds l’objet de leur effroi.

Le courage le plus terrible est celui dont l’explosion est produite par l’extrême nécessité. Il faut que la crainte laisse subsister quelque sécurité, et qu’elle offre en perspective plus d’espoir que de péril ; car autrement l’homme qui n’a pas moins à redouter dans la soumission que dans