Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/123

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la révolte, aime mieux affronter le danger et attenter à la vie de son oppresseur. Un roi pacifique et modéré peut compter sur la fidélité de ceux dont il emploie le secours pour le salut de l’état ; et l’armée, fière d’être l’instrument de la sécurité publique, supporte ses travaux avec joie, en songeant que celui qu’elle garde est son père. Mais voyez ce despote farouche et sanguinaire ; il est impossible que ses satellites ne lui soient pas suspects.

[1, 13] XIII. Les ministres des volontés d’un roi ne peuvent être dévoués et fidèles s’il fait de leurs mains des instruments de torture et de supplice, s’il leur livre des hommes comme on les livre aux bêtes féroces. Plus redoutable et plus ombrageux que les plus grands criminels, parce qu’il craint à la fois les dieux et les hommes, témoins vengeurs de ses forfaits, un tel prince finit par arriver au point de ne pouvoir plus changer de mœurs ; car, au milieu de tout ce que la cruauté présente de funeste, ce qu’il y a de plus détestable, c’est qu’elle est contrainte de persévérer, et que le retour au bien lui est interdit à jamais. Pour soutenir des crimes, il faut des crimes nouveaux. Qu’y a-t-il de plus malheureux qu’un homme forcé d’être méchant.

O combien il est digne de pitié (je veux dire de sa propre pitié, car celle qu’il obtiendrait des autres serait coupable), le prince qui a signalé son pouvoir par le meurtre et les rapines, qui a tant fait, que tout lui est devenu suspect au dedans comme au dehors de son palais ! Forcé de chercher son salut dans les armes, lorsque les armes sont pour lui un sujet d’effroi, ne se fiant plus ni à la loyauté de ses amis ni à la tendresse