Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/139

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la nature n’a pas voulu lui permettre d’étre cruel, ni de se livrer à une vengeance qui lui eût coûté si cher ; elle l’a privé de dard et a laissé sa colère désarmée.

Voilà un exemple frappant pour les rois, car la nature montre sa sagesse dans les plus petits objets, et elle offre dans ses moindres ouvrages de graves leçons applicables aux plus grandes choses. Nous aurions à rougir si, par nos mœurs, nous restions au dessous de ces petits animaux ; la modération est d’autant plus nécessaire à l’homme, que ses excès sont plus désastreux. Plût au ciel qu’il fut soumis à la même loi que les abeilles, que sa colère se brisât avec ses armes, qu’il n’eût le pouvoir de porter qu’un seul coup, et que sa haine ne pût s’assouvir à l’aide de forces étrangères ! La fureur se lasserait facilement si elle était obligée de se satisfaire elle-même, et si elle ne pouvait donner un libre cours à sa violence qu’au péril de sa vie. Cependant elle ne s’exerce pas avec sûreté, même dans la condition humaine : on a d’autant plus à redouter qu’on a voulu se faire redouter davantage ; il faut observer toutes les mains ; on croit étre menacé, alors même que nul attentat ne se prépare, et on ne compte pas dans la vie un seul instant exempt de terreur. Comment se trouve-t-il un homme qui puisse se résoudre à supporter une telle existence, tandis qu’il lui serait si facile d’exercer sans violence et par conséquent sans crainte les droits tutélaires de la puissance souveraine au milieu de l’allégresse générale ? Quelle erreur de croire qu’il puisse y avoir sûreté pour le prince, là où rien n’est en sûreté contre lui ? La sécurité ne s’établit qu’autant qu’elle est réciproque. Il n’est pas nécessaire de construire de hautes citadelles, de couvrir de retranchements