Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/143

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Il est plus difficile de se modérer quand la vengeance est accordée au ressentiment, que lorsqu’elle est destinée à l’exemple. Il serait superflu de recommander ici aux princes de ne pas croire facilement, de scruter la vérité, d’incliner en faveur de l’innocence et de prouver qu’ils savent que l’intérêt du juge n’est pas moins fortement engagé que celui de l’accusé. Ces maximes sont du domaine de la justice plutôt que de celui de la clémence ; mais j’exhorte le souverain, lorsque l’offense est manifeste, à rester maître de lui-même, et, s’il le peut avec sûreté, à faire remise de la peine, sinon à la modérer ; enfin, à se montrer beaucoup plus facile à fléchir, quand il s’agit de ses propres injures, que quand il est question de celles des autres. Car de même qu’on est généreux, non quand on se sert du bien d’autrui pour exercer des libéralités, mais quand on se dépouille soi-même pour donner, de même je dirai que la clémence consiste, non à se montrer facile quand il s’agit du ressentiment des autres, mais à ne pas éclater lorsqu’on est agité par l’aiguillon de sa colère, à comprendre qu’il est grand de supporter les injures au faite de la puissance, et que rien n’est plus glorieux qu’un bon prince impunément offensé.

[1, 21] XXI. La vengeance produit ordinairement deux avantages ; elle procure à celui qui a reçu l’injure une consolation actuelle, et la sécurité pour l’avenir. La condition du prince est trop élevée pour qu’il ait besoin de consolation, et sa puissance est trop manifeste pour qu’il cherche à en prouver l’étendue par le malheur d’autrui. Ce que je viens de dire s’applique au cas où il a été attaqué et offensé par des ïnférieurs ; car s’il voit ceux qui ont été ses égaux humiliés devant lui, il est assez vengé.