Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/145

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Un esclave, un serpent, une flèche, peuvent porter à un roi le coup mortel, mais, pour faire grâce de la vie, il faut être au dessus de celui à qui on l’accorde ; l’homme qui a reçu le pouvoir de la donner ou de l’ôter, doit donc user avec générosité de ce magnifique présent des dieux ; il le doit surtout envers ceux qu’il sait avoir occupé un rang pareil au sien. Par cela seul qu’il est devenu l’arbitre de leur sort, sa vengeance est accomplie, il leur a fait subir une peine réelle et suffisante ; car c’est avoir perdu la vie que d’en être ainsi redevable ; l’homme qui, précipité du haut des grandeurs aux pieds de son ennemi, a péniblement attendu la sentence de laquelle dépendaient et ses jours et son trône, n’existe plus que pour la gloire de son vainqueur ; et vivant, il lui procure plus de gloire que s’il eût été retranché du nombre des humains. Il demeure pour être le monument perpétuel de la vertu de son rival ; tandis que mené en triomphe il n’eût fait que passer. Mais si en outre la prudence a permis de lui rendre ses états et de le replacer sur le trône d’où il était tombé, quel accroissement de renommée pour celui qui, de la défaite d’un ennemi, n’a voulu recueillir d’autre fruit que la gloire ! C’est là triompher de sa propre victoire et montrer que le vainqueur n’a trouvé chez les vaincus rien qui fût digne de lui. A l’égard des citoyens obscurs, des hommes d’une condition inférieure, on doit les traiter avec d’autant plus de modération, qu’il est moins glorieux de les accabler. Satisfaites votre cœur en pardonnant aux uns, dédaignez de vous venger des autres : faites comme envers ces faibles animaux qui souillent celui qui les écrase, retirez votre main. Quant aux hommes dont le nom sera dans toutes les bouches, soit qu’ils reçoivent leur grâce, soit qu’ils subissent