Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/151

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qui sent tout le prix de celle-ci, n’épargne rien pour la conserver. Ainsi cette voie conduit mieux au but. La cruauté est un vice contraire à l’essence de l’homme ; elle est indigne d’une âme empreinte de tant de douceur. Se réjouir à l’aspect du sang et des blessures, c’est se livrer à une rage d’animal féroce ; c’est abdiquer sa condition humaine, et se transformer en un monstre des forêts.

[1, 25] XXV. Je te le demande, Alexandre, quelle différence y a-t-il entre exposer Lysimaque à la fureur d’un lion, ou le déchirer de tes propres dents ? Cette gueule dévorante est à toi ; cette férocité est la tienne. Combien tu regrettes de n’être pas armé d’ongles, de n’avoir pas une bouche assez vaste pour engloutir un homme ! Je ne demande pas que cette main, instrument trop sûr de la mort de tes amis, soit secourable à aucun d’entre eux ; que ce cœur atroce, fléau inépuisable des nations, soit rassasié sans meurtre et sans carnage : choisis parmi les hommes un bourreau pour ton ami ; je dirai que c’est là de la clémence ! Voilà ce qui rend surtout la cruauté exécrable ; c’est qu’elle franchit d’abord les limites ordinaires, puis bientôt les limites de l’humanité. Elle recherche de nouveaux supplices ; elle appelle à son secours le génie des inventions ; elle imagine des instrumens pour varier et prolonger la douleur ; elle se repaît avec délices des souffrances humaines. Cette horrible maladie de l’âme arrive enfin au dernier excès de la démence, lorsque la barbarie devient une jouissance et qu’on trouve du bonheur à donner la mort.

Celui qui est atteint de cette maladie, est poursuivi par la révolte, la haine, le poison et le fer. Il est menacé par autant de dangers qu’il existe d’hommes pour lesquels il