Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/155

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les limites des ordres qu’elle reçoit. Mais supposons que la cruauté puisse être en sûreté ; quel règne que le sien ! Il offre l’aspect d’une ville prise d’assaut, et le caractère hideux de la terreur générale. Ce n’est que tristesse, alarmes, confusion ; on craint jusqu’au plaisir ; plus de sécurité ni dans les festins où il faut, au milieu même de l’ivresse, retenir soigneusement sa langue, ni dans les spectacles, où le pouvoir.cherche des prétextes pour accuser et proscrire. A quoi servent ces dépenses énormes, cette magnificence royale, ces artistes célèbres ? Quel est celui à qui les jeux pourront plaire quand on fait du théâtre une prison ?

Quelle horreur, grands dieux, d’égorger, de torturer, de se complaire au bruit des chaînes, de verser des flots de sang sur son passage, de répandre l’épouvante et de mettre tout en fuite ! Si les lions et les ours régnaient, si le ciel nous avait soumis aux serpents, aux animaux les plus funestes, quelle autre vie mèneraient-ils ? et cependant ces êtres privés de raison, que nous accusons de férocité, épargnent leur espèce : la ressemblance, chez les brutes, est une sauve-garde. Mais la fureur des tyrans ne respecte pas leur propre famille : étrangers, parents, tout est égal à leurs yeux ; ils s’exercent par le meurtre des individus au massacre des nations. Lancer sur les maisons la torche incendiaire, faire passer la charrue sur les villes antiques, c’est ce qu’ils appellent la puissance ; ils croient au dessous de la dignité du trône d’envoyer à la mort une ou deux victimes ; si tout un troupeau d’infortunés ne tend la gorge au supplice, il leur semble que leur cruauté est soumise à des entraves. Quel bonheur, au contraire, de sauver une multitude d’hommes, de les rappeler à la vie, pour ainsi