Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/211

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ont enlevé un créancier, une maîtresse, un accusé9 un client ; combien tes querelles avec ta femme, la correction de tes esclaves, tes démarches officieuses dans la ville. Ajoute les maladies que nos excès ont faites ; ajoute le temps qui s’est perdu dans l’inaction, et tu verras que tu as beaucoup moins d’années que tu n’en comptes. Rappelle à ton souvenir combien de fois tu as persisté dans un projet ; combien de jours ont eu l’emploi que tu leur destinais ; quel avantage tu as retiré de toi-même ; combien de fois ton visage a été calme et ton cœur intrépide ; quels travaux utiles ont rempli une si longue suite d’années ; combien d’hommes ont mis ta vie au pillage, sans que tu sentisses le prix de ce que tu perdais ; combien de temps t’ont dérobé des chagrins sans objet, des joies insensées, l’âpre convoitise, les charmes de la conversation : vois alors combien peu il t’est resté de ce temps qui t’appartenait, et tu reconnaîtras que ta mort est prématurée10. »

IV. Quelle en est donc la cause ? mortels vous vivez comme si vous deviez toujours vivre. Il ne vous souvient jamais de la fragilité de votre existence ; vous ne remarquez pas combien de temps a déjà passé ; et vous le perdez comme s’il coulait d’une source intarissable, tandis que ce jour, que vous donnez à un tiers ou à quelqu’affaire, est peut-être le dernier de vos jours. Vous craignez tout, comme étant mortels : vous désirez tout, comme si vous étiez immortels. La plupart des hommes disent : A cinquante ans, j’irai vivre dans la retraite ; à soixante ans, je renoncerai aux emplois. Et qui vous a donné caution d’une vie plus longue11 ? qui permettra que tout se passe comme vous l’arrangez ? N’avez-vous pas honte de ne vous réserver que les restes de votre vie, et de des-