Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/235

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C’est ce que les hommes occupés n’ont pas le loisir de faire. Une âme paisible et calme est toujours à, même de revenir sur toutes les époques de sa vie43 ; mais l’esprit des hommes affairés est sous le joug : ils ne peuvent se détourner ni reporter leurs regards en arrière. Leur vie s’est engloutie dans un abîme ; et comme une liqueur, quelque abondamment que vous la versiez, se perd si un vase ne la reçoit et ne la conserve, de même que sertie temps, quelque long qu’il vous soit donné, s’il n’est aucun fond qui le contienne ? il s’évapore au travers de ces âmes sans consistance et percées à jour. Le présent est très-court, si court que quelques hommes ont nié son existence. En effet, il est toujours en marche, il vole et se précipite : il a cessé d’être, avant d’être arrivé44, et ne s’arrête pas plus que le monde ou les astres, dont la révolution est éternelle, et qui 11e restent jamais dans la même position. Le présent seul appartient donc aux hommes occupés : il est si court, qu’on ne peut le saisir ; et cependant, qu’ils sont tiraillés, distraits par mille affaires, ce temps même leur échappe.

XI. Enfin, voulez-vous savoir combien leur vie est courte ? Voyez combien ils désirent dé la prolonger. Des vieillards décrépits demandent à mains jointes quelques années de plus ; ils se font plus jeunes qu’ils ne sont, et se berçant de ce mensonge, ils le soutiennent aussi hardiment que s’ils pouvaient tromper le destin45. Mais si quelque infirmité vient leur rappeler leur condition mortelle, ils meurent remplis d’effroi ; ils ne sortent pas de la vie, ils en sont arrachés46 ; ils s’écrient qu’ils ont été insensés de n’avoir point vécu47. Que seulement ils réchappent de cette maladie, comme ils vivront dans le