Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/269

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leur essor ambitieux vers les hauts emplois, et dans cette lutte, dès leurs premiers efforts, la mort vient moissonner leurs jeunes ans91 : d’autres, après s’être fait jour, à force de bassesses, jusqu’au faîte des honneurs, ont été affligés par la triste pensée, qu’ils n’avaient travaillé que pour faire graver un vain titre sur leur tombe92. Il en est enfin dont la décrépitude, tout occupée des fraîches espérances qui ne conviennent qu’à la jeunesse93, a succombé de faiblesse au milieu de leurs grands et malencontreux efforts.

XX. Honte à ce vieillard qui a rendu l’âme comme il défendait de vils plaideurs et recherchait les applaudissemens d’un auditoire ignorant ! Honte à celui qui, plus tôt lassé de vivre que de travailler, a succombé au milieu de ces occupations ! Honte à celui qui, expirant sur les trésors qu’il amassait, devient la risée d’un héritier qu’il a long-temps fait attendre ! Je ne puis passer sous silence un exemple qui se présente à mon esprit. Turannius94, vieillard d’une activité et d’une exactitude rares, était chargé de l’approvisionnement de Rome. Ayant, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, reçu de Caïus César, sans l’avoir offerte, la démission de sa charge, il se mit au lit, et ordonna à ses esclaves rassemblés autour de lui, de le pleurer comme mort. Toute la maison s’affligeait du loisir de son maître, et les lamentations ne cessèrent que lorsqu’il fut rendu à ses fonctions. Est-il donc si doux de mourir occupé ? La plupart des hommes ont le même désir ; la manie du travail survit en eux au pouvoir de travailler ; ils luttent contre la faiblesse du corps, et la vieillesse ne leur paraît fâcheuse, que parce qu’elle les éloigne des affaires. La loi dispense à cinquante ans de porter les armes95, à soixante d’assister aux