Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/303

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après l’élection des préteurs, ceux qui l’ont faite s’en étonnent, quand la mobile faveur s’est promenée autour de l’assemblée2. Les mêmes choses, nous les approuvons, nous les blâmons. Tel est le résultat de tout jugement dans lequel c’est à la majorité que l’on prononce.

II. Quand c’est de la vie heureuse qu’il s’agit, n’allez pas, comme lorsqu’on se partage pour aller aux voix, me répondre : « Ce côté-ci parait être plus nombreux. » Car, c’est à cause de cela qu’il est pire. Les choses humaines ne vont pas si bien, que ce qui vaut mieux plaise au plus grand nombre : la preuve du pire, c’est la foule3. Examinons quelle action est la meilleure, et non pas quelle est la plus ordinaire ; quel moyen peut nous mettre en possession d’une félicité permanente, et non pas quelle chose est approuvée par le vulgaire, le pire interprète de la vérité. Sous le nom de vulgaire, je comprends et les gens en chlamyde et les personnages couronnés4 ; car ce n’est pas à la couleur des étoffes dont on a vêtu les corps, que je regarde ; quand il est question de l’homme, je n’en crois pas mes yeux : j’ai une lumière meilleure et plus sûre pour discerner le vrai du faux. Le bien de l’âme, c’est à l’âme de le trouver. Si jamais elle a le temps de respirer et de rentrer en elle-même, oh ! combien, dans les tortures qu’elle se fera subir, elle s’avouera la vérité, et dira : « Tout ce que j’ai fait jusqu’à ce moment, j’aimerais mieux que cela ne fût pas fait : quand je réfléchis à tout ce que j’ai dit, je porte envie aux êtres muets ; tout ce que j’ai souhaité, je le regarde comme une imprécation d’ennemis ; tout ce que j’ai craint, grands dieux, combien c’était meilleur que ce que j’ai désiré ! J’ai eu des inimitiés avec beaucoup